« Le workation »

L’instauration des congés payés, ce temps conquis par la vacance sur le travail, a délimité clairement la frontière entre deux univers : travail et temps libre. La séparation des temporalités, mais également des lieux, des climats, des ambiances et de l’état d’esprit a confirmé cette scission. Et si cette bi partition était de moins en moins d’actualité à l’avenir ? Et si l’imaginaire touristique venait également s’inviter dans le monde productif ? Et si le télétravail forcé de 2020 pour plus de 20% des actifs en France avait ouvert une porte sur d’autres façons de travailler et de prendre des vacances ? Une réflexion prospective sur les vacances et le tourisme ne peut de toute évidence faire l’économie d’une analyse sur ce qui se passe dans l’autre monde, celui du travail.

État des lieux

Aujourd’hui, deux phénomènes doivent nous alerter. Lesquels ?

  • Le télétravail : il concernait en 2019 un peu plus de 7% de la population active, soit 1,8 million de personnes. Ce chiffre est monté à 5,1 millions, soit près de 20% des actifs courant 2020. Selon un sondage d’Opinionway, la majorité des Français en a une opinion plutôt favorable : 54 % estiment qu’il permet de partir plus fréquemment en vacances et de rallonger les week-ends, 72 % qu’il peut offrir un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle, à condition de pouvoir travailler hors de son domicile et de changer d’environnement de travail au gré de ses envies (36 %).
    Les espaces de pratique du télétravail tendent à se diversifier, en empiétant sur les lieux de vacances. A commencer par la résidence secondaire (comme bon nombre des 11% de ménages français qui en disposent et en ont fait l’expérience au printemps 2020). En effet, un tiers des cadres interrogés envisagent de télétravailler depuis un lieu habituellement réservé aux vacances. Et 58 % y voient une opportunité de se reconnecter à la nature. Espaces privilégiés : la campagne (44 %) et la mer (29 %), avec un besoin de grands espaces plus marqué depuis la sortie du confinement. D’ores et déjà, le volume de télétravail (370 millions de journées) représente, hors contexte de confinement, plus de la moitié des journées touristiques des actifs occupés (650 millions de journées touristiques) et un tiers de celles de l’ensemble des Français. Cela donne une idée de l’impact potentiel sur les destinations touristiques si une part croissante de ce télétravail s’exerce hors du domicile.
  • L’essor du nomadisme digital : aux antipodes du travailleur posté (au bureau ou à la maison) se trouve le nomade digital, soit une personne qui travaille à partir d’un ordinateur, connecté à sa communauté de travail, potentiellement n’importe où : pied à terre, colocation, domicile de parents et amis, ou chambre d’hôtel. Son lieu de travail peut être le train, la terrasse d’un café ou un espace de coworking.
    Ces « nomades digitaux » ont de fait aboli toute frontière entre temps et espaces de travail et tourisme, mais ne sont pas pour autant des workaddicts : ils recherchent un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Le nomadisme leur ouvre un monde d’opportunités professionnelles tout en leur permettant de profiter des charmes de l’ailleurs.
    Ce phénomène est devenu vraiment populaire depuis les années 2010, grâce à la prolifération des outils cloud, qui permettent à la fois à une entreprise de gérer ses flux d’information à distance et de développer des projets collaboratifs avec une équipe répartie sur plusieurs fuseaux horaires.
    Avec une logistique facilitée par des plateforme d’offres pour freelance et des applications comme Uber ou Airbnb.
    Aux États-Unis, ils sont estimés par MBO Partners à 10 millions de personnes en 2020 (dont 1,9 million vivent dans un van !) avec une hausse de 49% par rapport à 2019. Pourraient s’y ajouter 19 millions de personnes qui projettent de le devenir dans les 2-3 ans à venir et 64 millions qui l’envisagent seulement.

Vision 2040

En 2040, le salariat devrait rester le modèle dominant pour la majorité des actifs, à tous les niveaux de la chaîne de travail. Mais la notion de bureau sera devenue plus volatile, d’une part parce que les entreprises seront de plus de soucieuses d’économiser de la surface d’open space, mais surtout parce que l’organisation du travail se fera autour de plateformes numériques auxquelles les collaborateurs viendront se connecter. Cette organisation impactera le travail d’une large part des actifs, mais davantage dans les temps du quotidien (journée, semaine) que dans les temps de vacances.

Les impacts sur les espaces de tourisme sont plus à attendre du côté du nomadisme digital, dont les rangs auront grossi du fait du développement de l’auto-entreprenariat et de l’évolution des politiques de ressources humaines soucieuses d’intégrer des « talents » susceptibles de travailler selon différents statuts, sans contrainte d’horaires ou de localisation de poste de travail, condition sine qua none pour stimuler leur créativité et leur productivité.
Cet « idéal » de vie se heurtera naturellement pour beaucoup au principe de réalité. Mais il n’en déterminera pas moins des comportements types, propices à une plus grande porosité entre vie professionnelle et vie personnelle, donc les vacances. Dans un premiers temps avec les millennials, solo ou dink (double income no kid), puis par extension avec les familles (on a même prévu d’ouvrir crèches et écoles pour les enfants de ces travailleurs nomades) et pour les empty nesters libérés des contraintes familiales.
Donc une diffusion par capillarité qui devrait concerner des populations actives de plus en plus diversifiées, mais avec des intensités et des modalités de pratiques très variables.

Débats et controverses

  • Alors que deux visions de la relation vacances/ travail s’affrontent, ne va-t-on pas assister à une accentuation de la fracture entre travailleurs « postés » (au bureau ou au domicile) et « CSP+ mobiles » en fonction de leurs envies ?
  • La cohabitation entre touristes et touristes télétravailleurs et populations locales peut être source de conflits potentiels. A moins que ces nouveaux arrivants fassent l’effort de s’inscrire dans l’environnement local (approvisionnement, utilisation des équipements sportifs locaux, développement de projets avec les locaux)
  • L’hyper consommation numérique générant des émissions augmentées de CO2 est-elle compatible avec des politiques durables ?
  • Comment éviter que les grands acteurs du numérique ne s’accaparent la valeur ajoutée liée à ces nouvelles pratiques ?

Shaping tomorrow’s tourism

Le workation représente un formidable enjeu de dessaisonalisation de la fréquentation touristique, aussi bien pour les exploitants d’hébergements que pour les destinations, puisque cette pratique se concentre justement
sur les périodes jusqu’à présent les plus creuses.
Cela peut passer par la création d’offres dédiées à ce créneau, mais aussi par l’adaptation des équipements et hébergements existants : une connectivité irréprochable bien-sûr, mais aussi surtout la création d’une ambiance hybride, avec des espaces privatifs et collectifs associant possibilités de coworking, mais aussi de restauration et de convivialité.
Avec la nécessité pour les hébergeurs et les transporteurs de repenser leur tarification et leur yield management en fonction de la période de l’année, de la durée du séjour et de la fidélité du travailleur. Il peut également y avoir des opportunités pour les agences de voyages orientées vers le business qui auront su intégrer ces nouveaux types de déplacements professionnels.

Digital et tourisme, opportunité ou menace ?

Indissociables du secteur du divertissement, les écrans fixes et mobiles sont devenus les vecteurs les plus utilisés par les jeunes générations. Pour autant, les formes physiques du divertissement ne sont pas condamnées. A l’heure de la troisième révolution industrielle, celle du numérique, qui a tendance à assimiler voyage et divertissement – l’un et l’autre étant de plus en plus vécus derrière un écran ! – le bon dosage entre réel et virtuel semble l’avenir du loisir et du voyage.

État des lieux

Dès les premiers pas du numérique, musées, parcs à thèmes, patrimoine historique… l’ensemble du secteur a dégagé des budgets afin d’être accessible sur écrans fixes et mobiles. Il ne s’agissait pas de remplacer les établissements physiques par des établissements virtuels, mais d’enrichir la visibilité de l’offre, de la rendre accessible à un plus grand nombre et parfois de créer de nouvelles attractions à travers toutes sortes de nouveaux devices : réalité augmentée, applications, hologrammes, réalité virtuelle… permettant de combiner harmonieusement – ou pas – l’attrait de la nouveauté et le registre des émotions.

En témoignent le succès de l’art immersif (Les Atelier de Lumière) mais aussi les spectacles de cabaret ou de cirque comme ceux de Bouglione qui remplace ses fauves par des hologrammes. Ce qui lui permet par la même occasion de se conformer aux nouvelles législations concernant la défense de la cause animale.

Autre point, en hybridant les formes d’art, de sport, et le loisir traditionnel, le numérique engendre bel et bien un univers nouveau qui se traduit par une gamification généralisée. Ceux qui s’intéressent aux jeux vidéo (78 %
de Français les pratiquent) savent les qualités oniriques et artistiques de nombre d’entre eux. Du point de vue des publics, il est donc indéniable que cette nouvelle offre permet de satisfaire les utilisateurs les plus sensibles aux nouvelles technologies : enfants, adolescents, jeunes adultes. Tandis qu’il convient de souligner que les établissements on line ont réussi à attirer un public complémentaire qui, sur écrans, peut profiter de visites virtuelles de musées, châteaux, parcs, spectacles…

Mieux, quand le monde du loisir et de la culture a été à terre pendant les confinements successifs, les concerts, spectacles, expositions en ligne ont permis aux publics les plus addicts de ne pas rompre avec les artistes et professionnels du divertissement… A noter néanmoins que la facilité apportée par la mise à disposition en ligne d’oeuvres artistiques semble intéresser principalement un public déjà sensibilisé aux pratiques culturelles
académiques sans pour autant conquérir un nouveau public. Avant de se projeter vers le futur, faisons un rapide constat de la manière dont le numérique a modifié nos comportements :

  • Aujourd’hui : « Je me suis rendu à l’autre bout du monde. Un reportage photo-vidéo, posté par un influenceur sur un réseau social, a retenu mon attention sur cette destination ».
  • Dans l’ancien monde : Un documentaire sur une chaine du service public a suscité mon envie.
  • Aujourd’hui : « J’ai surfé sur le net, consulté les avis sur les forums, visité sur Google Earth les spots recommandés, visionné sur YouTube les activités à ne pas louper. »
  • Dans l’ancien monde : « J’ai pris mon tour dans une agence de voyage, échangé avec un vendeur, suis reparti avec une brochure et me suis rendu dans une librairie pour choisir un guide de voyage sur la destination. »
  • Aujourd’hui : « J’ai choisi mon billet d’avion sur un comparateur en ligne, réservé mes hébergements en optimisant mon budget entre chaine hôtelière, hôtel de charme et Airbnb. Enfin j’ai réservé une voiture en profitant d’une promo. »
  • Dans l’ancien monde : « J’ai pris rendez-vous avec l’agent de voyage et ensemble nous avons composé mon séjour selon mes désirs … et ses recommandations. »
  • Aujourd’hui : « Sur place, depuis ma tablette connectée, j’ai ajusté mon programme suivant mes envies. »
  • Dans l’ancien monde : « A l’office du tourisme, j’ai récupéré les informations pratiques et j’ai même pu réserver certaines activités. »
  • Aujourd’hui : « J’ai fait des centaines de photos, dont beaucoup de selfies (!) que je pourrai consulter et partager tout le temps et n’importe où. »
  • Dans l’ancien monde : « Je rapporte plusieurs  pellicules que je vais faire développer et choisir celles que je vais tirer. »

Vision 2040

En 2040, dans le domaine du divertissement, les grands basiques du genre comme les grands parcs à thèmes sont loin d’avoir disparu du paysage. La première motivation de la visite d’un parc, celle de vivre en famille ou entre amis une expérience réellement partagée où chacun, quel que soit son âge, peut y prendre du plaisir, reste entière. Les parcs poursuivent une carrière certes parfois chaotique (à cause des aléas climatiques, terroristes, pandémiques…).
Ils restent aussi prisés par une clientèle férue d’exercice physique, de grandes émotions et de « fun » capable de soulager son stress. L’heure est toujours aux sensations fortes d’autant que la sédentarité menace la santé de nos sociétés.
Elle l’est même de plus en plus suivant les progrès de la technologie qui permettent de s’immerger dans l’univers des images, des sons, des odeurs et autres sensations physiques grâce aux simulateurs de dernière génération.
Bien sûr, nous pouvons aussi sans problèmes déambuler dans le temps, le passé, le présent et même le futur depuis notre destination. La traduction instantanée dans toutes les langues n’est plus un obstacle non plus à l’échange à distance avec un résident réel… ou virtuel. L’intelligence artificielle est au pouvoir et les robots se sont banalisés.
En matière de voyages, on ne voyage plus comme avant. Les city trips ont connu un ralentissement spectaculaire. On fait soit de longs voyages minutieusement préparés soit des escapades depuis notre canapé.
Les possibilités infinies du cyber voyage pallient en effet à leur façon les restrictions de déplacements imposées par les considérations sanitaires et environnementales. Chez nous, avec un casque VR – ou avec des proches dans notre espace immersif – on peut régler les conditions de vol et diriger un aéronef vers la destination de son choix.
On découvrira alors que le voyage aérien n’était plus un plaisir mais une succession de séquences contraintes, que nos hôtels ressemblaient à ceux de nos déplacements professionnels et que dans la rue se retrouvaient le même mobilier urbain, les mêmes enseignes de magasins et restaurants que dans ma ville.

Débats et controverses

L’emprise insidieuse du numérique monte en puissance, en même temps que nous apprenons à utiliser ses services. On voit déjà combien nous nous les sommes appropriés, au point que nous aurions beaucoup de mal à nous en passer.
L’utilisation du numérique est donc incontournable. A condition de ne pas céder aux sirènes du cyber-shoot dans lequel certains s’abiment au point de perdre le contact avec la réalité et de se vivre en héros agissant alimenter leurs phantasmes… et les asservir. Est-ce à dire que de manière inéluctable, les formes de loisir et de voyage, qui nous ont procuré du plaisir sont appelées à disparaitre ? Sans doute pas.
D’abord parce que la permanence des valeurs du partage des émotions, le besoin de rupture avec le quotidien… transcendent l’innovation technique.
Et puis, d’autres forces contraires, telles que la recherche d’une frugalité originelle vont rééquilibrer le fléau de la balance.
Ainsi, le futur du voyage est aussi celui du slow tourisme, celui du voyage lent de la randonnée pédestre, de la croisière en ballon dirigeable, ou de la croisière ferroviaire combinant tranquillement gastronomie et découverte des paysages et du patrimoine.
Digitalisés, tourisme et loisir sont donc durablement appelés à cheminer ensemble !

Shaping tomorrow’s tourism

Comme ce fut généralement le cas par le passé pour les diverses innovations, le numérique va continuer à générer de nouvelles pratiques qui vont coexister avec les anciennes. Celles-ci sauront se servir de celles-là pour s’adapter en retenant ce qui leur permet de perdurer et d’enrichir l’expérience qu’elles proposent.
Demain plus encore, au quotidien et pour ses loisirs, l’Homme sera confronté à son libre arbitre pour choisir ce qui l’épanouit sur son chemin de vie.
Pour adapter en permanence l’offre, il faudra s’efforcer d’identifier les tendances lourdes et les signaux faibles du secteur, pour les traduire en recommandations pratiques et contribuer à un avenir désirable.

Il faudra suivre également de près le développement et l’expérimentation de nouvelles technologies et ne pas hésiter à les préconiser quand elles se révèlent pertinentes.

Un tourisme sans animaux

Grands classiques des sorties familiales, les zoos français accueillent chaque année un peu plus de 20 millions de visiteurs. Du jamais vu alors que parallèlement, la biodiversité mondiale s’effondre et que la défense de la cause animale, notamment celle du bien-être des animaux captifs, ne cesse de progresser. On remet même en cause leur captivité. Quant à la survie de ces institutions cumulant un rôle de conservation, un rôle éducatif et un rôle récréatif, elle est par la même occasion sur la sellette. Crise existentielle ou stigmate de notre prise de conscience des enjeux environnementaux en général ? Le débat est largement ouvert.

État des lieux

Le terme de « zoo » est à la fois clair et très imprécis car il recouvre un éventail extrêmement large d’établissements de tailles et de concepts différents ayant comme point commun la présentation de la faune sauvage au public dans un milieu captif, terrestre ou aquatique (aquariums, parcs marins). Autre problème d’ordre sémantique, le mot même de zoo est aujourd’hui victime d’un glissement vers les termes de parc, parc animalier, bioparc, réserve etc.

De plus, si le « zoo » évoque le modèle classique de l’établissement urbain, son image, tenace, est loin de la réalité. La majorité des parcs sont aujourd’hui de grands jardins paysagers installés dans un cadre rural. Au cours des années 1990 en effet, le virage a été pris, grâce à la professionnalisation du secteur et la mise en réseau des acteurs, permettant de créer des synergies dans la gestion des actions de conservation ex situ (en parcs) et in situ (sur le terrain). Les notions de bien-être animal, d’enrichissement, de pédagogie et de scénographie ont alors rejoint les règles de conception et d’exploitation des parcs zoologiques.

Mais, le cadre réglementaire en France est le même pour tous, et la profession est organisée au niveau national, européen et mondial autour des mêmes principes.

Enfin, depuis le début des années 2010 une nouvelle notion s’est imposée comme incontournable de l’avenir des parcs : la notion d’expérience visiteur, qui peut se traduire par des activités participatives comme « soigneur » d’un jour, ou encore la possibilité de dormir en immersion avec animaux.

Vision 2040

D’après les études scientifiques, la planète a perdu près de 65% de l’ensemble des êtres vivants (hors humanité) depuis 1970, sur terre et dans les mers. Ce chiffre est tout bonnement effrayant. Malheureusement, rien ou presque ne vient freiner cette catastrophe. Que restera-t-il dans 20 ans ? Sera-t-il encore possible de voir des animaux dans la nature ? Les réserves naturelles seront-elles mises sous cloche pour que la biodiversité y survive, protégée des actions des hommes ? Les zoos seront-ils des arches de Noé pour sauvegarder le patrimoine génétique des survivants ? Ou bien seront-ils devenus des parcs d’attraction dont le thème sera une nature fantasmée, disparue… ?
Cette vision bien pessimiste est malheureusement un scénario possible. Il n’aura pas été créé par la volonté des zoos eux-mêmes, mais par l’évolution de notre civilisation. Les zoos seront alors les stigmates de notre échec collectif, n’étant capables d’offrir qu’une pâle copie, artificielle et stérile, d’une nature disparue.

Nous préférons parier sur un autre scénario, dans lequel les zoos, dans leurs diversités de formes, de tailles et de spécialités, assurent pleinement leurs missions de pédagogie, de divertissement, de recherche et de conservation.
Les zoos, par essence, ne maltraitent pas la nature. Ils sont le reflet de notre culture, de notre relation à la nature. Autrement dit : « montre-moi ton zoo et je te dirai qui tu es ». Le zoo de 2040 en dira beaucoup sur la capacité de la génération actuelle à modifier notre relation à l’environnement.

Débats et controverses

Alors que les zoos multiplient les succès de reproduction d’espèces menacées, participent de manière de plus en plus active à des actions de conservation, diffusent largement les connaissances sur les animaux et leurs milieux de vie (y compris dans de multiples émissions de télévision) et se font les caisses de résonnance des enjeux environnementaux, en parallèle les exigences de la société civile et du grand public évoluent.

Peut-on interdire les zoos ? Le cadre réglementaire concernant la faune sauvage en captivité se durcit (cirques, spectacles itinérants, delphinariums…). Autant de décisions qui semblent à première vue aller dans le sens de la cause animale, mais qui interpellent quant à leur finalité : est-ce un ajustement nécessaire, ou bien le début d’une lame de fond qui conduirait à l’interdiction des parcs zoologiques ?
Nous prenons le parti qu’il s’agit d’une remise en cause vertueuse, qui permet, en posant les bonnes questions, de faire évoluer la profession en harmonie avec les attentes de notre société.

Les zoos sont-ils des Arches de Noé ? Les établissements (zoos et éleveurs) ont permis de sauver, indiscutablement, plusieurs dizaines d’espèces de l’extinction ! Toutefois, il n’y a pas de quoi se réjouir : ces efforts et succès ne sont qu’une goutte d’eau à l’échelle des enjeux. Les zoos ne sont pas, ne peuvent pas être, ne veulent pas être l’Arche de Noé dans laquelle on conserverait un petit nombre d’animaux en attendant des jours meilleurs. Les professionnels du secteur sont en revanche des acteurs, parmi d’autres, de la conservation, avec une diversité d’actions : gestion de patrimoine génétique, réintroduction, collecte et diffusion de connaissances, levées de fonds pour les actions in situ, porte-paroles ou ambassadeurs du monde sauvage…

Les zoos exploitent-ils les animaux ? Non. Mais, ils répondent au besoin des humains de vivre proches d’autres espèces animales. Cela a pris diverses formes au cours des siècles, depuis la domestication du loup il y a 15 000 ans, avec une accélération liée aux voyages d’où l’on ramenait des espèces exotiques comme trophées ou témoignages de terres inconnues. Répondre à ce besoin aujourd’hui, par la présentation d’animaux en captivité, doit nécessairement se faire dans un cadre « éclairé » par nos connaissances sur les exigences des animaux sur les plans physique, alimentaire, éthologique, social, psychologique etc.
La dimension commerciale de l’exploitation est un faux débat puisque certains zoos sont publics et gratuits, en revanche il faut bien assurer la pérennité économique des établissements. Par analogie, il ne viendrait à l’idée de personne que d’exiger des restaurants qu’ils soient gratuits sous prétexte de répondre au besoin vital alimentaire des humains !
En revanche, il est incontestable que certains concepts et établissements profitent de l’attente du public pour avoir une activité lucrative sans respect pour les animaux. L’État a posé un cadre de surveillance et doit s’assurer qu’il est respecté. La profession doit également s’autodiscipliner pour empêcher les dérives individuelles ou collectives. La conscience environnementale est-elle compatible avec la visite de parcs zoologiques ?

Il ne faut pas en douter. Dans leur immense majorité, les établissements zoologiques sont motivés par la volonté d’informer et de sensibiliser leurs visiteurs aux enjeux environnementaux. La question du cadre de vie des animaux et de leur bien-être en captivité est en perpétuelle évolution. Les exigences exprimées aujourd’hui par la société civile sont légitimes et vertueuses dès lors qu’elles poussent les zoos à toujours améliorer ce cadre.

Shaping tomorrow’s tourism

Les trois mots clés du parc zoologique (ou animalier) de demain sont « reconnexion », « responsabilité » et « holistique ». Nous avons, en tant qu’espèce, besoin du contact avec la nature, et cela de manière globale.
Le zoo de demain sera un acteur de la conservation, aux échelles locales et internationales, et s’attachera à proposer une reconnexion sincère, dans une approche holistique où l’animal, son milieu de vie et l’humain seront considérés comme des parties interconnectées d’un même écosystème.

Une montagne alternative ?

La montagne française va connaître des bouleversements considérables dans les 20/30 ans à venir sous l’effet principalement des évolutions climatiques. Mais pas que. Selon le président de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) Jean-Luc Boch, après la crise du Covid, c’est 30% à 50% de l’écosystème montagne qui est menacé de disparition. Le risque est grand de voir une montagne encore plus polarisée, avec des stations de ski opulentes et les autres. Pourtant les perspectives positives d’évolution sont réelles. A condition de réinventer des atouts, des offres et des services au croisement des identités et des vertus parfois oubliées de la montagne et des nouvelles attentes comportementales. Il faudra de la méthode, de l’audace et parfois du renoncement pour remettre un question un bâti récent.

État des lieux

La montagne française version hiver, a connu ses premières heures de gloire avec les alpinistes. Le Club alpin français, n’est-il pas né en 1874 ! Puis, l’après-guerre est arrivé et le ski s’est développé auprès des nouvelles classes moyennes françaises et autour d’une nouvelle génération de stations, grâce à une intervention massive de l’État, des promoteurs et d’architectes renommés. Depuis, le paysage s’est diversifié, complexifié, les collectivités ont pris la main, mais les fondamentaux restent globalement les mêmes : une activité hivernale largement mono produit et saisonnière dont les enjeux sont cependant considérables :

  • Sur le plan économique, la montagne en hiver c’est 9 milliards de chiffre d’affaires, certes inégalement répartis, mais qui en font un moteur puissant pour tous les massifs, particulièrement dans les Alpes du Nord, qui représentent la moitié du marché français.
  • A ses atouts « glisses » s’ajoutent des atouts immobiliers dont les tarifs parfois exorbitants traduisent une forte demande.
  • La montagne française c’est aussi une place de leadership mondial partagée avec l’Autriche et les USA en nombre de journées skieurs, dans un contexte concurrentiel mondial limité. Enfin, c’est une grande diversité d’atouts géographiques et d’offres allant des grandes stations sportives comme Val Thorens à un émiettement de stations villages, devenues du goût d’une grande partie de la clientèle en quête de calme et d’authenticité.
  • Sans compter une nouvelle palette d’activités de loisirs et de bien-être qui, en hiver, comme cette année, pallient les manques de neige et qui, en été, font l’attractivité de massifs et de stations dynamiques, très adaptées aux clientèles familiales et aux clientèles de jeunes sportifs, amateurs souvent de sports extrêmes.
  • Pourtant les nuages n’ont pas cessé de s’accumuler sur le ciel d’hiver des stations. Malgré des débuts prometteurs, le vieillissement de la population conjuguée à des tarifs élevés et la fin des politiques volontaristes d’éducation et de séjour à la neige, n’ont pas généré l’explosion attendue de la demande.
  • S’y ajoute le phénomène des lits froids qui entraine une moindre efficacité du dispositif économique global.
  • Quant aux Impacts environnementaux (et difficultés sociales), ils sont de plus en plus évidents.
  • La dépendance à une quasi mono-activité d’à peine plus de 4 mois (mais permise par une acceptation prix très importante), ne va pas non plus dans le bon sens tandis que des pans entiers de l’offre (stations) se révèlent aujourd’hui marqués par un urbanisme dur, daté, peu convivial.
  • Autres points faibles : une dominante d’acteurs indépendants, avec relativement peu de chaînes internationales (exception faite du Club Méditerranée) capables de driver des clientèles diversifiées.
  • Une forte présence de résidences de tourisme, sur une base de défiscalisation, pose aussi aujourd’hui des problèmes. Tandis qu’une grande part de l’investissement va aux remontées mécaniques et à ces résidences de tourisme, finalement peu productives d’hospitalité et de services.
  • Quant à la montagne en été, elle a beau connaître un certain succès grâce à ses tarifs avantageux et son immense palette d’animations, son activité est limitée à deux petits mois.

Vision 2040

Faire évoluer la montagne en moins de deux générations, c’est court. C’est pourtant une question de survie pour des stations frappées comme prévu, par les effets du réchauffement climatique. Avec moins de neige dans les stations de basse altitude, dans le sud de la France et les Pyrénées, rendant inapplicables les modèles économiques passés, de nombreuses stations auront donc poursuivi une reconversion entamée depuis les années 2000, proposant une offre alternative composée de séjours de détente de plus en plus sophistiqués, une restauration gastronomique empruntant ses saveurs aux savoir-faire locaux, capable d’attirer les clientèles aisées, et toutes sortes d’activités plus ou moins culturelles et mondaines.

Quant aux activités sportives, elles se seront diversifiées à l’extrême ainsi que l’événementiel qui va avec. Ludique, conviviale, raffinée, sportive, la montagne des années 2040, aura aussi su se présenter sous le visage d’un territoire refuge où se protéger, se régénérer et accéder à une certaine forme de spiritualité. Le mythe de la « montagne sacrée » reviendra roder dans les imaginaires des élites urbaines et séduire des clientèles plus attirées par le mindfulness que par le bling bling des années 2000.

Pendant que les grandes stations seront toujours dédiées au ski, ces stations à bonne altitude et/ou proximité de grandes villes pourront pour leur part enregistrer une activité florissante et une forte montée en gamme.
Une partie des stations des massifs secondaires Pyrénées, Jura, Vosges, Massif Central… pourraient aussi se transformer, plus modestement, en lieux de villégiatures 4 saisons, où le ski ne sera plus qu’une activité parmi d’autres. Quant aux friches, on aura cherché à les reconvertir en centres culturels, écomusées, lieux de co working. En fait, à l’exemple des montagnes nord-américaines, et est- européennes, la montagne française sera devenue un territoire de vie et non pas seulement de vacances.

Débats et controverses

De manière globale et un peu théorique, on peut penser que le paysage touristique de la montagne devrait se structurer autour d’une géographie largement renouvelée composée :

  • De stations d’altitude et/ou bénéficiant de conditions climatiques spécifiques, qui vont concentrer l’économie du ski, avec souvent une montée en gamme liée à la rareté.
  • De stations villes d’agrément à proximité des grandes villes (Genève, Grenoble…) transformées en des sortes de banlieues chics et smart.
  • De stations « climatiques » qui auront réussi à réinventer leur modèle sur des identités réinventées et en accord avec les valeurs du 21e siècle
  • De laissés pour compte (beaucoup ?) qui n’auront pas su ou pas pu évoluer et connaîtront des destins difficiles, comme le littoral en montre déjà souvent.

Dans ce contexte, les enjeux apparaissent multiples et globaux :

  • Repenser les offres et les produits : le thème de la santé et du bien-être offre des potentiels considérables, avec des avantages stratégiques que le thermalisme ne peut revendiquer, sauf exceptions.
    Les sujets autour de la quête de spiritualité, du développement personnel, sont aussi des thèmes pour la montagne, dans une société qui en exprime les besoins de plus en plus clairement.
    D’évidence, les sujets du sport, des loisirs, de la culture, de l’évènementiel, des identités… sont autant de pistes à faire vivre.
  • Repenser la manière de vivre à la montagne : le modèle autrichien, suisse ou américain nous montre qu’une montagne à vivre toute l’année est possible. En revanche ce n’est pas possible dans 20m², et dans des modèle fonctionnels, urbains, construits depuis les années 1960 à 80, à la conjonction de pensées technocratiques, d’utopies largement en échec, d’architecture brutaliste, et souvent de mépris pour les questions environnementales. Parfois des solutions radicales devront être mises en oeuvre : on détruit bien les quartiers urbains défectueux de cette période. Les références seront à aller chercher dans la réinvention des modèles vernaculaires, des constructions bio-climatiques, adaptées au climat, avec de l’espace, de la lumière, un mode de vie sain, convivial, sûr.
  • Changer d’échelle : toute le monde ou presque raisonne à l’échelle de sa station, considérant souvent son voisin comme son principal concurrent. Si l’on veut faire évoluer le modèle économique et sociétal, il sera indispensable de changer d’échelle, de penser vallée, bassin de vie. C’est la condition pour offrir des territoires globaux, riches d’offres et de services différents, résilients car diversifiés, traitant les questions urbaines, de services publics, d’environnement…. Les villes françaises ont vraiment évolué quand elles ont pu fonctionner à l’échelle d’agglomérations ou de métropoles. Le cadre législatif récent sur les compétences touristiques, maintenant le statut des stations, ne va pas dans ce sens. Et pourtant…
  • Repenser les modèles : aujourd’hui les stations sont souvent gérées par des collectivités, en charge notamment de l’urbanisme et des sujets collectifs, avec un opérateur pour les remontées mécaniques, un pour le marketing et l’accueil, parfois un autre pour l’évènementiel, évidemment un pour l’école de ski… Le modèle anglo-saxon du resort est à cet égard beaucoup plus puissant et souple, permettant un management global de la destination. Il est évidemment impossible en France, mais il doit questionner sur l’organisation des fonctions et des modèles contractuels. Sans évolution du cadre de management et de gestion, le risque est fort de consensus mou et d’immobilisme.

Shaping tomorrow’s tourism

Aujourd’hui les menaces sont là, visibles et largement partagées. La crise du Covid et l’avalanche de situations dramatiques provoquées sur le modèle hivernal, devraient accélérer la mise en mouvement des acteurs de la montagne française, très conscients de ces problématiques.
Il faudra regarder loin avec lucidité, pour entreprendre une mutation indispensable. Chaque cas sera spécifique et trouvera des réponses adaptées. Des expérimentations seront aussi nécessaires ainsi que des démarches globales intégrant les produits, l’environnement, l’urbain, le réglementaire et le financier. Mobilisateur pour les collectivités, les opérateurs privés, les financeurs, ce processus nécessitera une bienveillance des services de l’État pour permettre de faire bouger les lignes, autoriser l’innovation.

Les acteurs de la montagne ont su faire preuve depuis des décennies d’esprit d’entreprise, de courage et de travail. Ils devront se mobiliser pour remettre en cause en partie ce qui a été fait, tout récemment, par leurs anciens.
Ce n’est jamais facile. Raison de plus pour entamer ces chantiers avec méthode et bienveillance.

Le tourisme du futur ?

Dans un monde en mutation, sur lequel planent toutes sortes de menaces malgré des évolutions positives, esquisser une typologie des touristes qui arpenteront la planète dans 20 ans, ne tient pas de la gageure. Car, malgré des évolutions comportementales liées aux tourments de l’actualité, les pratiques touristiques comme bien d’autres pratiques de loisirs constituent des constantes anthropologiques. On se divertit aujourd’hui à peu près comme hier, on se soumet aux mêmes rites et rituels, car in fine l’être humain n’a qu’une aspiration : être bien dans sa tête et son corps. Le touriste aussi.

État des lieux

Si l’on considère que le touriste moderne est né pendant les Trente Glorieuses, dans l’euphorie de la paix retrouvée, ce touriste a effectivement évolué. Mais, pas autant qu’on le penserait. Dans les années 50, alors que l’emploi tournait à plein et que les usines Renault livraient les premières petites 4CV si utiles aux déplacements estivaux, celui que l’on ne sait toujours pas nommer avec précision : touriste, voyageur, vacancier ? est surtout un individu pressé de changer d’air en bord de mer ou à la campagne, puis de l’autre côté des frontières européennes, pour les plus privilégiés. Dans les années soixante, avec 3 semaines de congés (la quatrième semaine de congé a été octroyée après mai 68), son temps libre était compté et son budget aussi. Il optait donc souvent pour des séjours de vacances familiales, pour les joies du camping ou pour des locations de meublés souvent inconfortables, mais seules capables de pallier le déficit hôtelier encore criant.
Personnage simple, à la façon de monsieur Hulot, le touriste des années soixante se contentait de pratiques de loisirs tout aussi simples : baignades, promenades, cyclo tourisme, châteaux de sable pour les enfants, bronzage pour les mamans, apéritifs interminables, repas encore plus interminables avant de longues parties de pétanque ou de rami. Tout cela a-t-il changé ? Non. Excepté le rapport au soleil (si l’on prend le cas du touriste balnéaire).

Avec un budget plus élevé, grâce à une offre de plus en plus variée et sophistiquée, le touriste des décennies suivantes, diversifie légèrement ses pratiques. Certains vont skier en hiver. Les enfants partent volontiers en colonies de vacances et en classes de découverte. De plus, les hébergements se sont modernisés. Mais, alors que le « sea sex and sun » est à son apogée et que Gilbert Trigano façonne un modèle de village de vacances qui deviendra quasi universel, celui du Club Méditerranée, l’avion s’est démocratisé permettant de sauter plus rapidement et facilement les frontières. Se créent alors deux nouveaux types de touristes : des jeunes back-packers découvrant le monde, sur un mode aventureux. Et puis, ceux qui partent à la découverte des standards du tourisme international, en voyages organisés : ils « font » la Grèce, l’Égypte, l’Italie… et déjà le Mexique ou l’Inde. Obéissant à leur curiosité, ils éprouvent aussi dans la post-modernité naissante, le besoin d’afficher leur statut social. Devenu une pratique ostentatoire, le tourisme « organisé » voit éclore des tour-opérateurs de plus en plus pointus mais aussi quelques voyagistes vedettes comme Nouvelles Frontières qui, au sommet de sa gloire, envoie dans le monde entier un touriste curieux, décomplexé, libre, recruté parmi des classes moyennes en mal de voyages.
En Allemagne, au Royaume-Uni, des mastodontes cassent aussi les prix en vendant des séjours au soleil, en forfaits, à petits prix. Ils font des Allemands et des Britanniques les plus gros des marchés émetteurs du monde,
mais commencent à provoquer les vaguelettes qui grossiront bientôt les flots du tourisme de masse et feront du touriste un personnage gênant et envahissant, dont certaines populations autochtones se passeraient bien.

Alors que l’habitude de voyager s’impose (malgré des taux de départ stagnants en France), la demande de sur-mesure se précise. Le voyage trop organisé fait moins recette pour des clientèles en quête d’autonomie, d’originalité, d’alternatives au tourisme standardisé que proposent les brochures. A la fin du vingtième siècle, les prouesses d’Internet arrivent à point nommé pour permettre à ces voyageurs d’individualiser leurs prochaines vacances, en supprimant les intermédiaires et accédant directement à l’offre de leur choix. Les agents de voyage se font du souci.

A raison. D’autant que l’heure des compagnies low-cost et celle des grandes plateformes concentrant l’offre mondiale d’hébergements et de transports, a sonné. Cherchant toujours son plaisir, mais en calculant les prix au plus serré, le touriste utilise avec de plus en plus d’expertise le système D et apprend à contourner les canaux de distribution traditionnels.

Il est d’autant plus habile dans ses recherches et la confection de ses voyages, qu’il est né avec des écrans, de plus en plus petits et mobiles qui font de lui la première génération connectée, les fameux Millennials qui ont
inventé Facebook, Instagram, Airbnb, Uber, donc le tourisme collaboratif… Une nouvelle ère se précise avec ces jeunes qui savent tellement bien communiquer entre eux qu’ils tissent des communautés transnationales dont les membres ont de plus en plus tendance à se ressembler.
Une bonne et une mauvaise nouvelle pour les comportements touristiques qui tendent inexorablement à s’uniformiser ! Claude Levi Strauss et les structuralistes cherchaient l’unicité de l’homme à travers sa diversité, aujourd’hui, on chercherait avec plaisir la diversité de l’homme (et du touriste) à travers son uniformité !

Vision 2040

Compte tenu de sa trajectoire, le touriste des années 2040 aura probablement un peu évolué. Mais en partie seulement. Sur le plan des pratiques, tout donne à penser qu’elles tourneront autour des mêmes activités : jeu, musique, danse, promenades, visites… sachant cependant que certaines de ces pratiques digitalisées continueront de conquérir de nouveaux publics toujours plus connectés. Mais, dans la mosaïque que constituent les clientèles touristiques, on comptera aussi des individus lassés par les écrans, désireux de s’en passer.
En matière de vacances, alors que la frontière sera devenue plus floue, entre travail et loisirs, les vacances seront devenues des moments élastiques étalés sur toute l’année, au cours desquelles une population jeune et active joindra utile et agréable, travail et loisirs.
Tandis que l’aérien aura repris des forces, malgré des tarifs plus élevés qu’ils ne l’avaient été dans les années 2000, touristes et vacanciers continueront leur exploration du monde mais avec des fréquences réduites, sans doute sur des durées plus longues. Les voyages éclair se feront plutôt en train. Il faut dire que la sensibilité écologique aura encore progressé et que la grande majorité des voyageurs cherchera à combattre les gaz à effets de serre qui, malgré l’allégement de nouveaux avions, la propreté des carburants… continueront de polluer le ciel et de faire grimper les températures. Plus électrique et autonome, la voiture n’aura pas disparu des routes, au
contraire, elle permettra de longues itinérances vers de nouvelles destinations européennes et nationales.
Mais, ces touristes résolument « green », obéissant toujours et avant tout à un principe de plaisir, cherchant à se régénérer et parfois à réinventer leur vie, afficheront une exigence toujours aussi puissante, de sécurité.
Ayant vécu bon nombre de catastrophes, climatiques, économiques, géo politiques et ayant frôlé de nouvelles catastrophes sanitaires, ils seront guidés dans leurs déplacements autour du monde par la quête du risque « zéro ». Il faut dire que la génération aux commandes, sera la Génération née dans les années 2000, celle que l’on a baptisée « La Génération Coronavirus ». Très marquée par cette pandémie à son entrée dans l’âge adulte, cette génération conservera le souvenir du traumatisme vécu durant la grande pandémie de 2020 et cherchera à limiter la prise de risques. Sans compter qu’elle influencera les plus jeunes, ses enfants, et les incitera à se méfier de toutes sortes de nouveaux dangers.
Dans la toute-puissance que lui conféreront les nouveaux devices technologiques, les progrès de l’IA, de la médecine etc. le touriste de 2040 sera donc malgré tout un être fragile, prêt à s’amuser mais faisant passer sa sécurité et sa santé avant tout. Les aventuriers disparaîtront-ils de la géographie du voyage ? Non. Car, si la quête de sécurité sera « mainstream », elle n’empêchera pas toutes sortes d’autres profils de voyageurs de se développer et d’innover dans leurs pratiques touristiques : sports, spiritualité, jeu, musique, déserts, espaces, solitude, marche à pied, vélo… Protéiforme, l’offre touristique fera toujours du touriste un être protéiforme.

Débats et controverses

Alors que, dans les économies avancées, le tourisme est devenu un « fait social total », et que le touriste est un personnage banalisé, doit-on chercher à l’inclure ou à le séparer des populations endogènes ? Doit-il garder un statut à part lui procurant des privilèges ? Doit-on fabriquer un monde où les besoins des touristes priment sur le développement des territoires au détriment de ceux de la population locale ?
C’est sans doute de la fusion des populations exogènes et endogènes et la fusion des lieux dédiés au travail et au loisir que pourra naître un individu apaisé, un touriste dont la mission justement pourrait être d’apaiser le monde.

Shaping tomorrow’s tourism

La principale piste à suivre pour tenter de satisfaire la demande touristique de demain consiste à étudier les évolutions des sociétés contemporaines. Comment ? Grâce à une observation régulière, avertie, constante de tous les phénomènes tant économiques que géo politiques, environnementaux, technologiques qui affectent hommes et femmes. Y compris les phénomènes de modes, les goûts musicaux, les pratiques alimentaires, les façons de se distraire…
Au carrefour de nombreuses disciplines, la connaissance du touriste nécessite une veille permanente sur tous les sujets le concernant. Elle doit aussi surveiller et comprendre les innovations émergeant de l’offre touristique, et cela dans tous les pays constituant des marchés porteurs pour le tourisme national : Inde, Chine, Japon, USA, Europe, Moyen Orient… Car, malgré une uniformisation de l’offre et des goûts, subsistent des spécificités économiques et socioculturelles.
La segmentation par génération est également intéressante. Surtout celle concernant les générations à venir, notamment les petits Alpha nés en 2010 et après, dont les comportements sont déjà sous observation. Nous en reparlerons…

Faudra-t-il sanctuariser la Méditerranée ?

La Méditerranée pourra t’elle rester la première destination touristique mondiale ? Cette question peut paraître provocante au moment où tous les professionnels espèrent un redémarrage de l’activité sur toutes ses rives, et alors que les statistiques démontrent une première place sans équivalent depuis des décennies. Pourtant, entre enjeux environnementaux, réchauffement climatique, crises géopolitiques et évolutions des comportements, la Méditerranée est bel et bien menacée.

État des lieux

La Méditerranée est devenue en quelques décennies la première destination touristique mondiale, avec plus de 400 millions de séjours par an (2019). Depuis l’invention du tourisme au 19e siècle par l’aristocratie britannique, se sont succédé différentes phases de développement après la seconde guerre mondiale : hyper densification de la Côte d’Azur des années 1950 à 1980, création de stations par l’État dans le Languedoc, mais aussi en Espagne, Grèce, Afrique du Nord, Turquie…
A l’origine de cet essor : une aspiration généralisée aux vacances portée par des imaginaires très largement partagés dans ces années d’après-guerre. Soleil, mer, plage, l’iconographie des vacances idéales se constituait autour de la Grande Bleue, tandis que progressaient les classes moyennes et les taux de départ en vacances. Mieux, les envies immobilières aiguisées par la frénésie des promoteurs et les avantages fiscaux payés par la Collectivité, rendaient possibles les rêves des Européens et encourageaient une ruée vers les côtes, dominée par les marchés britanniques et allemands qui, bon an mal an, représentent environ 50% des flux. De quoi entraîner des concentrations spectaculaires sur quelques destinations comme les Baléares, la Costa del Sol, la Costa Brava… qui, aujourd’hui, ne sont plus du meilleur effet, ni sur l’environnement ni sur les populations
locales.
Cette domination du bassin méditerranéen à l’échelle mondiale s’appuie cependant sur des facteurs objectifs : qualité des paysages et des climats, richesses historiques et patrimoniales, diversité culturelle, proximité des
marchés émetteurs européens, effet prix lié à l’industrialisation du tourisme (massification des hébergements, low cost… ).
Quant au phénomène de diasporas, devenu majeur en Europe, en provenance des pays du sud de la Méditerranée, il constitue depuis peu un nouveau moteur pour un tourisme « nord/sud » qu’il convient de prendre en compte.

Vision 2040

Mais, comment vivra-t-on sur le littoral méditerranéen dans 20 ans ? Les réponses sont multiples. On peut cependant imaginer que l’on vivra à l’espagnole, en programmant des sorties le soir y compris des baignades, pour éviter les fortes chaleurs diurnes.
Les stations climatiques (fraîches, saines) dans les Pyrénées Orientales, les Alpes du sud et les Cévennes auront retrouvé de leur dynamisme grâce à une nouvelle clientèle pressée de venir se rafraîchir. Sur des plages rétrécies, les accès seront contingentés et le nombre d’estivants sera sans doute limité. Des stations protégées (de la montée des eaux) et largement repensées (mobilités douces, densification, multi-activités…) accueilleront des vacanciers autour d’espaces largement « revégétalisés ». La croisière et la plaisance relancées, sur des unités plus modestes et plus sobres, constitueront des « lieux à vivre ».
Des destinations qui se sont réinventées : les Baléares en destination nature, Cannes sur le sport, le Cap d’Agde sur le haut de gamme et les congrès, attireront sans doute de nouveaux publics à l’année.
Probablement en partie retraités, mais pas seulement !

Débats et controverses

Si l’on observe attentivement plusieurs signaux, il nous apparaît donc que l’âge d’or de cette mer si chère au coeur de l’humanité, a d’ores et déjà atteint son point haut. N’aurait-elle pas même entamé un déclin relatif ?

Le sur-tourisme est le premier symptôme de cette crise bien qu’il soit relativement concentré dans le temps et l’espace, et gérable techniquement.
En revanche, les stigmates d’une urbanisation omniprésente, notamment des linéaires côtiers (98% sur la Côte d’Azur), d’un urbanisme banalisé (médiocrité architecturale, uniformité, mitage…), voire déjà dégradé (stations non terminées, friches…) sont plus graves.

Autres problèmes : la pollution maritime et littorale est omni présente, en particulier sur les rives sud, mais les améliorations à l’oeuvre, parfois exemplaires, sont largement insuffisantes. Pire, 80% des déchets sont à mettre au passif des touristes !

Quant au réchauffement climatique et ses multiples désordres, il est devenu évident : étés caniculaires, incendies, crues… Déjà en Andalousie, la haute saison n’est plus l’été, sauf sur le littoral. Faudra-t-il en faire autant en France ?

Enfin, les menaces géo stratégiques dans un contexte sécuritaire largement dégradé (attentats, menaces sur le monde arabo-musulman, crise de Lybie ou d’ailleurs, raidissement en Turquie…) ne peuvent être négligées. Ni les migrations clandestines qui vont avec. La Méditerranée, bassin de la civilisation, n’est-elle pas en train de devenir une frontière entre crises climatiques, démographiques, sociales, culturelles, et déplacements massifs de populations ?
Ces crises sont aussi révélatrices des faiblesses d’un tourisme très largement lié au balnéaire où les pratiques de plage l’emportent toujours sur les activités culturelles. Certes, la culture festive, les croisières et la plaisance ont par endroit pris le relais, mais, globalement on reste sur un modèle saisonnier, largement mono thématique et mono-clientèle (les Européens du nord). Demain, quelles seront donc les destinations gagnantes ? Les côtes européennes protégées et à la qualité de vie assurée ? Les Îles (Baléares, Sicile, Sardaigne) pour les mêmes raisons ? La Turquie, centrée sur les clientèles russes et arabo musulmanes ? Le Maroc, la Tunisie, centrés sur des clientèles nationales, européennes ou proches culturellement ? Liée à tous ces déficits, une large part de l’imaginaire du tourisme de la Méditerranée est en tout cas en questionnement, voire en train de se déliter : une nature saine, un climat de cocagne, toujours doux, la dolce vita, les mixités, une certaine légèreté… risquent donc beaucoup.

Shaping tomorrow’s tourism

Comment dès lors aborder le futur ? S’agissant plus spécifiquement de la France, d’une région à l’autre, les problématiques varient. Entre une Côte d’Azur sur-densifiée, mais toujours une success story car elle est urbanisée donc permet l’évènementiel, le MICE, le culturel et une côte du Languedoc-Roussillon où les stations mono thématiques, saisonnières, génèrent une économie touristique marchande faible, les stratégies devront s’adapter aux spécificités régionales. Y compris la Corse qui reste un bijou mais qui est finalement peu valorisée sur le plan touristique, et qui est menacée par un mitage immobilier rampant.
Plus précisément, on peut cependant estimer que le schéma optimal d’efficacité sur le plan économique et social (des emplois à l’année…), mais aussi environnemental, passe plutôt par une concentration des activités humaines (dans quelques villes/stations) et par la préservation de larges espaces non urbanisés. Ainsi, le modèle des stations, notamment du Languedoc ou de Corse, devrait être réinterrogé sur les plans urbanistiques,
de gouvernance, de structures d’offre.

La protection des espaces, des paysages et globalement de l’environnement en mer et sur terre, étant définitivement la composante de base de toute politique de développement touristique, devra éviter un immobilisme réglementaire qui fige tout. Il doit en effet être possible de faire évoluer les situations, de densifier ponctuellement, même fortement, ailleurs de se retirer, etc. L’anticipation des désordres climatiques doit être un moteur de l‘évolution, pas un argument de statu quo ou d’un recul de l’activité touristique.

Pour parvenir à ces résultats, il pourrait convenir enfin de repenser les usages, d’aller vers des espaces globaux à vivre à l’année, pour les vacances, les loisirs, mais aussi le travail, la culture, l’évènementiel…
Les acteurs publics et privés sont prêts pour cette nouvelle phase de l’aménagement touristique méditerranéen, à la fois plus protecteur, plus inclusif, et plus efficace. Il faudra cependant de l’audace pour repenser globalement la région, bâtir des exemplarités, tout en laissant la part belle aux imaginaires initiaux et à la poétique des espaces méditerranéens.

Le temps des vacances

Porteur de progrès social, le droit aux vacances est désormais acquis dans les sociétés avancées. C’est bien d’ailleurs grâce à la progression des jours de vacances que le tourisme a vu croître ses clientèles. Mais, alors que les phénomènes de saturation touristique ont empoisonné le tourisme pré Covid, on pourrait se demander si « tourisme pour tous » et « vacances pour tous » sont compatibles. Le sujet est clivant et il mérite donc d’être posé sereinement à l’heure où nul ne conteste plus l’impact du nombre dans les griefs portés au tourisme.

État des lieux

Le concept de vacances renvoie d’abord à un temps non travaillé, c’est-à-dire au repos, ce qui n’implique pas forcément un déplacement. Or, la confusion entre les vacances et le tourisme est fréquente. Le tourisme au contraire suppose, selon la définition qui en est donnée par l’Organisation Mondiale du Tourisme, un déplacement de plus de 24 heures hors du domicile habituel. Et le temps du tourisme n’est pas forcément de tout repos. C’est ainsi que le tourisme d’affaires n’est pas un contre sens, surtout à l’heure des digital nomads.

Le droit aux vacances lui se comprend comme un droit au repos. Comme le shabbat ou le dimanche dans la tradition judéo-chrétienne, il est un temps sanctuarisé où l’on s’interdit de travailler, pour se retrouver en famille. Pour Marx, le repos hebdomadaire permet au prolétaire de reconstituer sa force de travail. De son côté, l’Union Nationale des Associations de Tourisme (UNAT) nous dit aujourd’hui que le droit aux vacances : « c’est avoir la possibilité de pouvoir partir comme tout le monde au moins une fois par an en vacances en famille… » et que, ne pas y accéder, constitue « un creusement des inégalités ». Ainsi posés, les objectifs du droit aux vacances sont bien légitimes et revendiqués. Il y aurait un sens de l’histoire qui se traduirait dans les faits par une hausse continue des taux de départ en vacances. Or le taux de départ des français est aujourd’hui de 61% alors même qu’il atteignait 67% il y a 30 ans !

Quels sont donc les changements économiques et sociétaux qui ont conduit à la désagrégation du tourisme social et à la désaffection des colonies de vacances ? On peut évoquer l’augmentation des tarifs liés à l’obligation d’encadrer les activités par du personnel diplômé. Donc, inaccessibilité pour les classes moyennes non aidées par les comités d’entreprise, la Caisse d’Allocations Familiales et autres chèques-vacances. Moins avouables sont les problèmes de sécurité : pédophilie, accidents sur les pistes…. Mais surtout, l’éclatement de la cellule familiale et la hausse du nombre de divorces ont contribué à réduire le revenu disponible des ménages d’une part, tandis que l’effondrement de l’industrie d’autre part a eu des conséquences importantes sur le volume de clientèle du tourisme social. Les dégâts sont visibles : une partie du parc touristique social est à l’abandon et avec lui son impact économique sur les territoires de moyenne montagne. Moins visible, l’abandon des classes de neige a eu un impact sur l’apprentissage de masse du ski, encouragé jusqu’aux années 80, avec une incidence certaine sur le volume de skieurs pratiquants.

Par ailleurs, notons que l’évolution du Club Med est en ce sens assez remarquable puisqu’il a tenté de jouer la carte du tourisme pour tous en partant de la vision populaire des villages de toile pour évoluer vers les cinq tridents et le haut de gamme convivial, 50 ans plus tard. Belambra, issu du tourisme social a suivi le même chemin pour adopter une stratégie de tourisme commercial. De fait, on peut noter qu’à mesure que les clients progressent socialement, ils souhaitent un niveau de confort plus étendu : ils s’embourgeoisent et revendiquent une exclusivité qui leur permet d’afficher leur statut social. Plus que les vacances, le tourisme reste en effet comme les prénoms ou les écoles, une affaire de marquage social. Comme la voiture hier, le nombre de destinations fréquentées et le cumul des miles parcourus se sont érigés comme un moyen d’afficher sa réussite sociale dans une société qui, malgré ses évolutions, a besoin d’ostentation.

Nous comprenons bien que le droit aux vacances a évolué au rythme des changements de notre société. Mais qu’en est-il du tourisme ? Un tourisme pour tous est-il souhaitable et si oui, quels en sont les enjeux ? Une chose est certaine, le tourisme devra composer avec des forces contraires : l’accès au tourisme d’un public toujours plus nombreux et, dans le même temps, préserver la ressource touristique de la prédation. Des solutions techniques seront sans doute développées pour réguler les flux. Il reste néanmoins à envisager leur portée et les conditions de leur mise en oeuvre.

Vision 2040

Les moments de vacances continuent de s’hybrider, mêlant tourisme et travail, et sont devenus indispensables au bien-être des populations de la planète de plus en plus stressées par l’environnement complexe dans lequel elles vivent. Aspirant à une meilleure qualité de vie, ayant délaissé l’idée d’un progrès idéalisé, le Français mise plus sur la valeur temps libre que sur la valeur travail. Mais, dissuadés par les difficultés liées aux déplacements « vacanciers » : tarifs élevés, phénomènes de foule, impact sur l’environnement, certains choisissent soit comme Voltaire dans son grand âge de : « rester dans leur jardin » dans des maisons de plus en plus multi fonctions dans lesquelles s’est créé un nouveau « cocooning », soit en partant à contre-courant, c’est-à-dire hors des saisons autrefois traditionnelles. Le marquage social a bel et bien évolué.

Ainsi, alors que le « sur tourisme » constitue toujours un écueil dissuasif, combattu d’ailleurs énergiquement par les professionnels, de nouveaux temps de vacances se sont créés. Ils sont devenus d’autant plus opportuns que le télétravail poursuit son développement, permettant à une grande part des travailleurs salariés et indépendants, non dépendants de contraintes familiales, de pratiquer des séjours de longue durée sur des destinations touristiques qui, par la même occasion, voient leurs clientèles changer. Le nomadisme professionnel est accepté et la bi-résidence possible.

Débats et controverses

Si les vacances se sont imposées comme le contrepoint du temps contraint issu de la généralisation du travail salarié, le tourisme lui voit sa tradition et ses habitus remonter au Grand Tour tel que le pratiquait l’aristocratie. Deux origines, deux mondes et deux époques. Dès lors, ces pôles opposés peuvent ils se rencontrer ? Un tourisme voulu par tous et soumis à une forte pression démographique est-il compatible avec toutes les pratiques touristiques ? Ainsi, lors de son safari au Kenya un touriste va-t-il admettre qu’il y avait 80 Land Rover et quatre fois plus de téléobjectifs pour photographier un Rhinocéros ? Qui se soucie du sort de Venise sauf quand elle est sous les eaux ? Qui dénonce la pollution et les conditions sociales liées aux paquebots de croisières ? Qui n’a pas été choqué par les images de « l’île dépotoir » aux Maldives ?

Chacun préfère donc perpétuer le mythe et prolonger une trajectoire qui ne conduit nulle part. Les plus optimistes ne voient pas de contradiction entre tourisme d’élite et tourisme pour tous pour peu que l’on compense son impact carbone. Le rêve d’un tourisme raisonné se heurte, on le voit, à l’appétit des nouvelles classes moyennes mondiales rendues solvables par la mondialisation de l’économie. Satisfaire ces dernières suppose la mise en œuvre de prix bas et un traitement de volumes toujours plus élevés.

Shaping tomorrow’s tourism

Le futur du tourisme passe donc par la limitation des volumes de touristes et non par l’encouragement au départ de publics insolvables. L’abandon du projet du Terminal 4 de Roissy tel qu’envisagé en est une illustration frappante. Gérer le tourisme de masse supposera la mise en oeuvre de technologies adaptées à la gestion de flux et, dans le même temps une forte inclinaison du secteur dans le domaine de la responsabilité sociale et environnementale. La confusion entre vacances et tourisme est, on le voit, plus qu’une question de mots.

Alors quels sont les scenarii possibles pour le tourisme de demain ? D’un côté, les optimistes reprennent le constat de la reprise rapide connue au cours de l’été 2020, aussitôt le confinement levé. De l’autre, les pessimistes, héritiers de ceux qui avaient prédit la fin des années frime au tournant des années 90, laissent entendre que le tourisme international ne rebondira pas. Il fait peu de doute que l’envie d’ailleurs reste ancrée en chacun de nous, mais il est tout aussi valide de penser que le tourisme continuera de composer avec des crises récurrentes. La question posée est donc celle du pourcentage de la pente à gravir. Une pente douce signifiera que le tourisme s’est autorégulé et que la croissance des flux internationaux jadis projetée entre 4 et 5% par an sera moindre. Une pente raide signifiera l’urgence d’une protection des sites et la mise en oeuvre de système de gestion sinon de régulation des flux. On le voit bien, c’est le volume qui décidera de la qualité de notre tourisme. De gré, ou de force. Saurons-nous alors faire de l’avenir de notre secteur un futur éclairé, porté par une vision renouvelée et inclusive du tourisme ?

Imaginaires touristiques

Saturés de représentations liées au religieux, à l’histoire, à la littérature, les imaginaires touristiques sont également saturés par une invitation permanente au voyage. Déployée par des destinations et toutes sortes d’opérateurs touristiques, constituée par une iconographie relativement standardisée mais évoluant au gré de l’actualité, celle-ci est-elle susceptible de rester figée ou au contraire, d’évoluer ? Quant aux avancées de la technologie et de l’internet, sont-elles capables de modifier cette caverne d’Ali Baba que constituent nos imaginaires ? L’avenir est ouvert au pire et au meilleur.

État des lieux

Les imaginaires reposent tout d’abord sur des récits. Ces grands récits dont l’histoire de l’Humanité est empreinte et que l’on appelle la mythologie. Grecque, romaine, aztèque, mésopotamienne, égyptienne, cette mythologie s’appuie sur des personnages inventés de toutes pièces auxquels on confère une symbolique : Jupiter, c’est la terre et le ciel, Neptune : l’eau… Des dieux, parfois de simples héros ! Outre ces récits, les imaginaires sont constitués par des légendes comme celle d’Ulysse dont Homère a fait pour longtemps le stéréotype de l’aventurier.

Se joignent à ce flot d’images, celles liées aux récits nationaux historiques auxquels ont parfois contribué les grands navigateurs (Christophe Colomb, Vasco de Gama), sur lesquelles se superposent en permanence les images connectées à l’actualité. Se surajoutent encore les images collectives que façonnent la littérature, la musique, le cinéma, sans compter les nuées d’images personnelles que chacun se constitue à partir de sa propre histoire et sa propre culture.

Mais, surtout n’oublions pas les constructions publicitaires érigées autour de territoires ou d’opérateurs touristiques : le Club Méditerranée : « le bonheur si je veux. » « Le pays ami » pour la Tunisie. Air France : « le ciel, le plus bel endroit de la terre » … Autant de clichés dont la mission est de rendre désirable l’offre touristique, tout en la figeant dans des clichés : sable blanc, eaux turquoise, cocotiers, déserts roses, sommets enneigés…

Outil de communication, visuel ou sonore, individuel ou collectif, standardisé ou personnalisé, l’imaginaire et son abondante iconographie guident alors subtilement les touristes vers une destination ou une autre. Les uns partageant un univers générationnel voudront découvrir San Francisco parce qu’ils ont lu Jack Kerouac. D’autres partageant un imaginaire musical, iraient bien à Cuba pour écouter la musique des « social clubs ». Certains s’offriront un voyage en Italie, pour visiter enfin les ruines de Pompéi mises en scène par la dernière campagne publicitaire de la destination. Associées à d’autres images, ces représentations pourront servir de déclic.

Et puis, globalement, bon nombre de touristes voudront partir pour participer à un jeu social dans lequel voyages, vacances, tourisme constituent le triptyque gagnant de la réussite et du bien vivre. En embuscade, le marketing touristique et sa communication omni présente font tout pour cela.

Vision 2040

Dans deux décennies, il ne fait guère de doute que le voyage et les vacances seront toujours les grands gagnants des activités de loisirs, même si l’on part moins longtemps. Mais, les images d’hier auront probablement changé. Vues à travers le prisme environnemental, les symboliques se déconstruisent. Ainsi, la symbolique de la mer porteuse de vie, puis de soleil et de détente, pourrait être supplantée par les images d’une mer polluée, surchargée d’embarcations, cimetières de malheureux migrants, bordée de rivages fragilisés par toutes sortes de constructions, envahis par des foules d’estivants écologiquement incorrects. En particulier l’été. En revanche, la montagne touristique, accablée par des années de manque d’enneigement, en passe de perdre sa vocation de terrain de jeux sportifs, aura peut-être changé de vocation. Les imaginaires qui lui sont liés se seront sans doute transformés pour incarner la sérénité et la spiritualité qui en émanaient historiquement. Elle redeviendra un territoire de bien-être où l’on se reconstruit.

La campagne pour sa part continuera sans doute de progresser dans les imaginaires et le coeur des touristes. Traitée comme la seule authentique gardienne de la nature et d’un monde pré industriel idéalisé, érigé en paradis, ce sera le territoire refuge, celui où l’on peut prétendre renouer avec le monde d’avant. A moins que les pesticides ne l’emportent sur l’agriculture vertueuse.

Les grandes villes quant à elles auront peut-être perdu de leur attrait et de leur prestige au profit de quelques villes moyennes, plus calmes, facilement accessibles, respirables, offrant un mix parfait entre nature, culture, shopping.

Le voyage en train enfin pourrait être de plus en plus convoité dans ses nouveaux habits de transport vertueux, lent, confortable incitant à la rêverie… malgré les progrès d’un secteur aérien moins polluant.

Débats et controverses

Dans un secteur dérégulé par des images en mouvements, quels imaginaires doivent être convoqués par les publicitaires ?

Autre question plus concrète et actuelle : la pandémie a-t-elle déformé voire transformé les imaginaires liés à certaines destinations très frappées par le Covid, et pendant combien de temps : la Californie, le Brésil, le Royaume-Uni ? La France ? Temporairement ou durablement ? Quant à l’actualité négative (terrorisme, tremblements de terre, tempêtes…), pendant combien de temps, est-elle de nature à influencer les imaginaires et à les coloniser avec des images dissuasives ?

Par ailleurs, la multiplication des images via l’explosion du numérique, des smartphones et autres réseaux sociaux transforme-t-elle la constitution des imaginaires ?

N’a-t-elle pas aussi tendance à les saturer et à freiner les choix du touriste ? Sera-t-il donc bien utile pour les opérateurs touristiques de continuer à utiliser à outrance le e-marketing, les réseaux sociaux et leurs influenceurs pour diffuser des informations ?

Enfin, qui dit technologie, dit intelligence artificielle et big data. Or, d’ores et déjà, des start-ups proposent de faire du marketing prédictif à partir de collectes de données sur les comportements. Inutile donc d’avoir un imaginaire surpeuplé d’images touristiques, puisque ce seront les algorithmes qui manipuleront les choix des touristes !

Pire, et ce n’est pas de la science-fiction, la fusion de l’informatique et des neuro sciences pourrait bien provoquer un « hacking » des cerveaux dans un avenir peu lointain. Un « hacking » pouvant modifier les souvenirs, donc une partie des imaginaires et manipuler l’individu positivement ou négativement. On le voit les questions sont nombreuses et les réponses encore hésitantes.

Shaping tomorrow’s tourism

… Alors que le monde de demain aura tendance à se complexifier, les représentations touristiques subiront le même sort. De plus en plus plurielles, elles rendront les imaginaires moins limpides qu’ils le sont encore aujourd’hui. Population d’ores et déjà difficile à analyser et à comprendre, la population touristique nécessitera une analyse de plus en plus fine pour être comprise et satisfaite dans sa diversité. De plus, les nouveautés technologiques permettant de sophistiquer les images réelles en les dotant de pouvoirs sensoriels, leur donnant une troisième dimension, les déployant à grande échelle, et à tout moment, devront être utilisées avec modération afin d’éviter les risques de vampirisation des imaginaires par des images de plus en plus éloignées de la réalité. Les jeunes générations surtout étant plus concernées que les autres.

En fait, pour entretenir la magie d’un secteur dont la mission de ré enchantement du quotidien doit à tout prix subsister, il conviendra de doser le mélange entre images d’hier, d’aujourd’hui et demain et d’en maîtriser la transmission. Car, les touristes aujourd’hui via Instagram et autres réseaux sociaux sont aussi les principales courroies de transmission des images touristiques. Une donne à ne pas négliger.