La Méditerranée pourra t’elle rester la première destination touristique mondiale ? Cette question peut paraître provocante au moment où tous les professionnels espèrent un redémarrage de l’activité sur toutes ses rives, et alors que les statistiques démontrent une première place sans équivalent depuis des décennies. Pourtant, entre enjeux environnementaux, réchauffement climatique, crises géopolitiques et évolutions des comportements, la Méditerranée est bel et bien menacée.
État des lieux
La Méditerranée est devenue en quelques décennies la première destination touristique mondiale, avec plus de 400 millions de séjours par an (2019). Depuis l’invention du tourisme au 19e siècle par l’aristocratie britannique, se sont succédé différentes phases de développement après la seconde guerre mondiale : hyper densification de la Côte d’Azur des années 1950 à 1980, création de stations par l’État dans le Languedoc, mais aussi en Espagne, Grèce, Afrique du Nord, Turquie…
A l’origine de cet essor : une aspiration généralisée aux vacances portée par des imaginaires très largement partagés dans ces années d’après-guerre. Soleil, mer, plage, l’iconographie des vacances idéales se constituait autour de la Grande Bleue, tandis que progressaient les classes moyennes et les taux de départ en vacances. Mieux, les envies immobilières aiguisées par la frénésie des promoteurs et les avantages fiscaux payés par la Collectivité, rendaient possibles les rêves des Européens et encourageaient une ruée vers les côtes, dominée par les marchés britanniques et allemands qui, bon an mal an, représentent environ 50% des flux. De quoi entraîner des concentrations spectaculaires sur quelques destinations comme les Baléares, la Costa del Sol, la Costa Brava… qui, aujourd’hui, ne sont plus du meilleur effet, ni sur l’environnement ni sur les populations
locales.
Cette domination du bassin méditerranéen à l’échelle mondiale s’appuie cependant sur des facteurs objectifs : qualité des paysages et des climats, richesses historiques et patrimoniales, diversité culturelle, proximité des
marchés émetteurs européens, effet prix lié à l’industrialisation du tourisme (massification des hébergements, low cost… ).
Quant au phénomène de diasporas, devenu majeur en Europe, en provenance des pays du sud de la Méditerranée, il constitue depuis peu un nouveau moteur pour un tourisme « nord/sud » qu’il convient de prendre en compte.
Vision 2040
Mais, comment vivra-t-on sur le littoral méditerranéen dans 20 ans ? Les réponses sont multiples. On peut cependant imaginer que l’on vivra à l’espagnole, en programmant des sorties le soir y compris des baignades, pour éviter les fortes chaleurs diurnes.
Les stations climatiques (fraîches, saines) dans les Pyrénées Orientales, les Alpes du sud et les Cévennes auront retrouvé de leur dynamisme grâce à une nouvelle clientèle pressée de venir se rafraîchir. Sur des plages rétrécies, les accès seront contingentés et le nombre d’estivants sera sans doute limité. Des stations protégées (de la montée des eaux) et largement repensées (mobilités douces, densification, multi-activités…) accueilleront des vacanciers autour d’espaces largement « revégétalisés ». La croisière et la plaisance relancées, sur des unités plus modestes et plus sobres, constitueront des « lieux à vivre ».
Des destinations qui se sont réinventées : les Baléares en destination nature, Cannes sur le sport, le Cap d’Agde sur le haut de gamme et les congrès, attireront sans doute de nouveaux publics à l’année.
Probablement en partie retraités, mais pas seulement !
Débats et controverses
Si l’on observe attentivement plusieurs signaux, il nous apparaît donc que l’âge d’or de cette mer si chère au coeur de l’humanité, a d’ores et déjà atteint son point haut. N’aurait-elle pas même entamé un déclin relatif ?
Le sur-tourisme est le premier symptôme de cette crise bien qu’il soit relativement concentré dans le temps et l’espace, et gérable techniquement.
En revanche, les stigmates d’une urbanisation omniprésente, notamment des linéaires côtiers (98% sur la Côte d’Azur), d’un urbanisme banalisé (médiocrité architecturale, uniformité, mitage…), voire déjà dégradé (stations non terminées, friches…) sont plus graves.
Autres problèmes : la pollution maritime et littorale est omni présente, en particulier sur les rives sud, mais les améliorations à l’oeuvre, parfois exemplaires, sont largement insuffisantes. Pire, 80% des déchets sont à mettre au passif des touristes !
Quant au réchauffement climatique et ses multiples désordres, il est devenu évident : étés caniculaires, incendies, crues… Déjà en Andalousie, la haute saison n’est plus l’été, sauf sur le littoral. Faudra-t-il en faire autant en France ?
Enfin, les menaces géo stratégiques dans un contexte sécuritaire largement dégradé (attentats, menaces sur le monde arabo-musulman, crise de Lybie ou d’ailleurs, raidissement en Turquie…) ne peuvent être négligées. Ni les migrations clandestines qui vont avec. La Méditerranée, bassin de la civilisation, n’est-elle pas en train de devenir une frontière entre crises climatiques, démographiques, sociales, culturelles, et déplacements massifs de populations ?
Ces crises sont aussi révélatrices des faiblesses d’un tourisme très largement lié au balnéaire où les pratiques de plage l’emportent toujours sur les activités culturelles. Certes, la culture festive, les croisières et la plaisance ont par endroit pris le relais, mais, globalement on reste sur un modèle saisonnier, largement mono thématique et mono-clientèle (les Européens du nord). Demain, quelles seront donc les destinations gagnantes ? Les côtes européennes protégées et à la qualité de vie assurée ? Les Îles (Baléares, Sicile, Sardaigne) pour les mêmes raisons ? La Turquie, centrée sur les clientèles russes et arabo musulmanes ? Le Maroc, la Tunisie, centrés sur des clientèles nationales, européennes ou proches culturellement ? Liée à tous ces déficits, une large part de l’imaginaire du tourisme de la Méditerranée est en tout cas en questionnement, voire en train de se déliter : une nature saine, un climat de cocagne, toujours doux, la dolce vita, les mixités, une certaine légèreté… risquent donc beaucoup.
Shaping tomorrow’s tourism
Comment dès lors aborder le futur ? S’agissant plus spécifiquement de la France, d’une région à l’autre, les problématiques varient. Entre une Côte d’Azur sur-densifiée, mais toujours une success story car elle est urbanisée donc permet l’évènementiel, le MICE, le culturel et une côte du Languedoc-Roussillon où les stations mono thématiques, saisonnières, génèrent une économie touristique marchande faible, les stratégies devront s’adapter aux spécificités régionales. Y compris la Corse qui reste un bijou mais qui est finalement peu valorisée sur le plan touristique, et qui est menacée par un mitage immobilier rampant.
Plus précisément, on peut cependant estimer que le schéma optimal d’efficacité sur le plan économique et social (des emplois à l’année…), mais aussi environnemental, passe plutôt par une concentration des activités humaines (dans quelques villes/stations) et par la préservation de larges espaces non urbanisés. Ainsi, le modèle des stations, notamment du Languedoc ou de Corse, devrait être réinterrogé sur les plans urbanistiques,
de gouvernance, de structures d’offre.
La protection des espaces, des paysages et globalement de l’environnement en mer et sur terre, étant définitivement la composante de base de toute politique de développement touristique, devra éviter un immobilisme réglementaire qui fige tout. Il doit en effet être possible de faire évoluer les situations, de densifier ponctuellement, même fortement, ailleurs de se retirer, etc. L’anticipation des désordres climatiques doit être un moteur de l‘évolution, pas un argument de statu quo ou d’un recul de l’activité touristique.
Pour parvenir à ces résultats, il pourrait convenir enfin de repenser les usages, d’aller vers des espaces globaux à vivre à l’année, pour les vacances, les loisirs, mais aussi le travail, la culture, l’évènementiel…
Les acteurs publics et privés sont prêts pour cette nouvelle phase de l’aménagement touristique méditerranéen, à la fois plus protecteur, plus inclusif, et plus efficace. Il faudra cependant de l’audace pour repenser globalement la région, bâtir des exemplarités, tout en laissant la part belle aux imaginaires initiaux et à la poétique des espaces méditerranéens.