Saturés de représentations liées au religieux, à l’histoire, à la littérature, les imaginaires touristiques sont également saturés par une invitation permanente au voyage. Déployée par des destinations et toutes sortes d’opérateurs touristiques, constituée par une iconographie relativement standardisée mais évoluant au gré de l’actualité, celle-ci est-elle susceptible de rester figée ou au contraire, d’évoluer ? Quant aux avancées de la technologie et de l’internet, sont-elles capables de modifier cette caverne d’Ali Baba que constituent nos imaginaires ? L’avenir est ouvert au pire et au meilleur.

État des lieux

Les imaginaires reposent tout d’abord sur des récits. Ces grands récits dont l’histoire de l’Humanité est empreinte et que l’on appelle la mythologie. Grecque, romaine, aztèque, mésopotamienne, égyptienne, cette mythologie s’appuie sur des personnages inventés de toutes pièces auxquels on confère une symbolique : Jupiter, c’est la terre et le ciel, Neptune : l’eau… Des dieux, parfois de simples héros ! Outre ces récits, les imaginaires sont constitués par des légendes comme celle d’Ulysse dont Homère a fait pour longtemps le stéréotype de l’aventurier.

Se joignent à ce flot d’images, celles liées aux récits nationaux historiques auxquels ont parfois contribué les grands navigateurs (Christophe Colomb, Vasco de Gama), sur lesquelles se superposent en permanence les images connectées à l’actualité. Se surajoutent encore les images collectives que façonnent la littérature, la musique, le cinéma, sans compter les nuées d’images personnelles que chacun se constitue à partir de sa propre histoire et sa propre culture.

Mais, surtout n’oublions pas les constructions publicitaires érigées autour de territoires ou d’opérateurs touristiques : le Club Méditerranée : « le bonheur si je veux. » « Le pays ami » pour la Tunisie. Air France : « le ciel, le plus bel endroit de la terre » … Autant de clichés dont la mission est de rendre désirable l’offre touristique, tout en la figeant dans des clichés : sable blanc, eaux turquoise, cocotiers, déserts roses, sommets enneigés…

Outil de communication, visuel ou sonore, individuel ou collectif, standardisé ou personnalisé, l’imaginaire et son abondante iconographie guident alors subtilement les touristes vers une destination ou une autre. Les uns partageant un univers générationnel voudront découvrir San Francisco parce qu’ils ont lu Jack Kerouac. D’autres partageant un imaginaire musical, iraient bien à Cuba pour écouter la musique des « social clubs ». Certains s’offriront un voyage en Italie, pour visiter enfin les ruines de Pompéi mises en scène par la dernière campagne publicitaire de la destination. Associées à d’autres images, ces représentations pourront servir de déclic.

Et puis, globalement, bon nombre de touristes voudront partir pour participer à un jeu social dans lequel voyages, vacances, tourisme constituent le triptyque gagnant de la réussite et du bien vivre. En embuscade, le marketing touristique et sa communication omni présente font tout pour cela.

Vision 2040

Dans deux décennies, il ne fait guère de doute que le voyage et les vacances seront toujours les grands gagnants des activités de loisirs, même si l’on part moins longtemps. Mais, les images d’hier auront probablement changé. Vues à travers le prisme environnemental, les symboliques se déconstruisent. Ainsi, la symbolique de la mer porteuse de vie, puis de soleil et de détente, pourrait être supplantée par les images d’une mer polluée, surchargée d’embarcations, cimetières de malheureux migrants, bordée de rivages fragilisés par toutes sortes de constructions, envahis par des foules d’estivants écologiquement incorrects. En particulier l’été. En revanche, la montagne touristique, accablée par des années de manque d’enneigement, en passe de perdre sa vocation de terrain de jeux sportifs, aura peut-être changé de vocation. Les imaginaires qui lui sont liés se seront sans doute transformés pour incarner la sérénité et la spiritualité qui en émanaient historiquement. Elle redeviendra un territoire de bien-être où l’on se reconstruit.

La campagne pour sa part continuera sans doute de progresser dans les imaginaires et le coeur des touristes. Traitée comme la seule authentique gardienne de la nature et d’un monde pré industriel idéalisé, érigé en paradis, ce sera le territoire refuge, celui où l’on peut prétendre renouer avec le monde d’avant. A moins que les pesticides ne l’emportent sur l’agriculture vertueuse.

Les grandes villes quant à elles auront peut-être perdu de leur attrait et de leur prestige au profit de quelques villes moyennes, plus calmes, facilement accessibles, respirables, offrant un mix parfait entre nature, culture, shopping.

Le voyage en train enfin pourrait être de plus en plus convoité dans ses nouveaux habits de transport vertueux, lent, confortable incitant à la rêverie… malgré les progrès d’un secteur aérien moins polluant.

Débats et controverses

Dans un secteur dérégulé par des images en mouvements, quels imaginaires doivent être convoqués par les publicitaires ?

Autre question plus concrète et actuelle : la pandémie a-t-elle déformé voire transformé les imaginaires liés à certaines destinations très frappées par le Covid, et pendant combien de temps : la Californie, le Brésil, le Royaume-Uni ? La France ? Temporairement ou durablement ? Quant à l’actualité négative (terrorisme, tremblements de terre, tempêtes…), pendant combien de temps, est-elle de nature à influencer les imaginaires et à les coloniser avec des images dissuasives ?

Par ailleurs, la multiplication des images via l’explosion du numérique, des smartphones et autres réseaux sociaux transforme-t-elle la constitution des imaginaires ?

N’a-t-elle pas aussi tendance à les saturer et à freiner les choix du touriste ? Sera-t-il donc bien utile pour les opérateurs touristiques de continuer à utiliser à outrance le e-marketing, les réseaux sociaux et leurs influenceurs pour diffuser des informations ?

Enfin, qui dit technologie, dit intelligence artificielle et big data. Or, d’ores et déjà, des start-ups proposent de faire du marketing prédictif à partir de collectes de données sur les comportements. Inutile donc d’avoir un imaginaire surpeuplé d’images touristiques, puisque ce seront les algorithmes qui manipuleront les choix des touristes !

Pire, et ce n’est pas de la science-fiction, la fusion de l’informatique et des neuro sciences pourrait bien provoquer un « hacking » des cerveaux dans un avenir peu lointain. Un « hacking » pouvant modifier les souvenirs, donc une partie des imaginaires et manipuler l’individu positivement ou négativement. On le voit les questions sont nombreuses et les réponses encore hésitantes.

Shaping tomorrow’s tourism

… Alors que le monde de demain aura tendance à se complexifier, les représentations touristiques subiront le même sort. De plus en plus plurielles, elles rendront les imaginaires moins limpides qu’ils le sont encore aujourd’hui. Population d’ores et déjà difficile à analyser et à comprendre, la population touristique nécessitera une analyse de plus en plus fine pour être comprise et satisfaite dans sa diversité. De plus, les nouveautés technologiques permettant de sophistiquer les images réelles en les dotant de pouvoirs sensoriels, leur donnant une troisième dimension, les déployant à grande échelle, et à tout moment, devront être utilisées avec modération afin d’éviter les risques de vampirisation des imaginaires par des images de plus en plus éloignées de la réalité. Les jeunes générations surtout étant plus concernées que les autres.

En fait, pour entretenir la magie d’un secteur dont la mission de ré enchantement du quotidien doit à tout prix subsister, il conviendra de doser le mélange entre images d’hier, d’aujourd’hui et demain et d’en maîtriser la transmission. Car, les touristes aujourd’hui via Instagram et autres réseaux sociaux sont aussi les principales courroies de transmission des images touristiques. Une donne à ne pas négliger.

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