Porteur de progrès social, le droit aux vacances est désormais acquis dans les sociétés avancées. C’est bien d’ailleurs grâce à la progression des jours de vacances que le tourisme a vu croître ses clientèles. Mais, alors que les phénomènes de saturation touristique ont empoisonné le tourisme pré Covid, on pourrait se demander si « tourisme pour tous » et « vacances pour tous » sont compatibles. Le sujet est clivant et il mérite donc d’être posé sereinement à l’heure où nul ne conteste plus l’impact du nombre dans les griefs portés au tourisme.
État des lieux
Le concept de vacances renvoie d’abord à un temps non travaillé, c’est-à-dire au repos, ce qui n’implique pas forcément un déplacement. Or, la confusion entre les vacances et le tourisme est fréquente. Le tourisme au contraire suppose, selon la définition qui en est donnée par l’Organisation Mondiale du Tourisme, un déplacement de plus de 24 heures hors du domicile habituel. Et le temps du tourisme n’est pas forcément de tout repos. C’est ainsi que le tourisme d’affaires n’est pas un contre sens, surtout à l’heure des digital nomads.
Le droit aux vacances lui se comprend comme un droit au repos. Comme le shabbat ou le dimanche dans la tradition judéo-chrétienne, il est un temps sanctuarisé où l’on s’interdit de travailler, pour se retrouver en famille. Pour Marx, le repos hebdomadaire permet au prolétaire de reconstituer sa force de travail. De son côté, l’Union Nationale des Associations de Tourisme (UNAT) nous dit aujourd’hui que le droit aux vacances : « c’est avoir la possibilité de pouvoir partir comme tout le monde au moins une fois par an en vacances en famille… » et que, ne pas y accéder, constitue « un creusement des inégalités ». Ainsi posés, les objectifs du droit aux vacances sont bien légitimes et revendiqués. Il y aurait un sens de l’histoire qui se traduirait dans les faits par une hausse continue des taux de départ en vacances. Or le taux de départ des français est aujourd’hui de 61% alors même qu’il atteignait 67% il y a 30 ans !
Quels sont donc les changements économiques et sociétaux qui ont conduit à la désagrégation du tourisme social et à la désaffection des colonies de vacances ? On peut évoquer l’augmentation des tarifs liés à l’obligation d’encadrer les activités par du personnel diplômé. Donc, inaccessibilité pour les classes moyennes non aidées par les comités d’entreprise, la Caisse d’Allocations Familiales et autres chèques-vacances. Moins avouables sont les problèmes de sécurité : pédophilie, accidents sur les pistes…. Mais surtout, l’éclatement de la cellule familiale et la hausse du nombre de divorces ont contribué à réduire le revenu disponible des ménages d’une part, tandis que l’effondrement de l’industrie d’autre part a eu des conséquences importantes sur le volume de clientèle du tourisme social. Les dégâts sont visibles : une partie du parc touristique social est à l’abandon et avec lui son impact économique sur les territoires de moyenne montagne. Moins visible, l’abandon des classes de neige a eu un impact sur l’apprentissage de masse du ski, encouragé jusqu’aux années 80, avec une incidence certaine sur le volume de skieurs pratiquants.
Par ailleurs, notons que l’évolution du Club Med est en ce sens assez remarquable puisqu’il a tenté de jouer la carte du tourisme pour tous en partant de la vision populaire des villages de toile pour évoluer vers les cinq tridents et le haut de gamme convivial, 50 ans plus tard. Belambra, issu du tourisme social a suivi le même chemin pour adopter une stratégie de tourisme commercial. De fait, on peut noter qu’à mesure que les clients progressent socialement, ils souhaitent un niveau de confort plus étendu : ils s’embourgeoisent et revendiquent une exclusivité qui leur permet d’afficher leur statut social. Plus que les vacances, le tourisme reste en effet comme les prénoms ou les écoles, une affaire de marquage social. Comme la voiture hier, le nombre de destinations fréquentées et le cumul des miles parcourus se sont érigés comme un moyen d’afficher sa réussite sociale dans une société qui, malgré ses évolutions, a besoin d’ostentation.
Nous comprenons bien que le droit aux vacances a évolué au rythme des changements de notre société. Mais qu’en est-il du tourisme ? Un tourisme pour tous est-il souhaitable et si oui, quels en sont les enjeux ? Une chose est certaine, le tourisme devra composer avec des forces contraires : l’accès au tourisme d’un public toujours plus nombreux et, dans le même temps, préserver la ressource touristique de la prédation. Des solutions techniques seront sans doute développées pour réguler les flux. Il reste néanmoins à envisager leur portée et les conditions de leur mise en oeuvre.
Vision 2040
Les moments de vacances continuent de s’hybrider, mêlant tourisme et travail, et sont devenus indispensables au bien-être des populations de la planète de plus en plus stressées par l’environnement complexe dans lequel elles vivent. Aspirant à une meilleure qualité de vie, ayant délaissé l’idée d’un progrès idéalisé, le Français mise plus sur la valeur temps libre que sur la valeur travail. Mais, dissuadés par les difficultés liées aux déplacements « vacanciers » : tarifs élevés, phénomènes de foule, impact sur l’environnement, certains choisissent soit comme Voltaire dans son grand âge de : « rester dans leur jardin » dans des maisons de plus en plus multi fonctions dans lesquelles s’est créé un nouveau « cocooning », soit en partant à contre-courant, c’est-à-dire hors des saisons autrefois traditionnelles. Le marquage social a bel et bien évolué.
Ainsi, alors que le « sur tourisme » constitue toujours un écueil dissuasif, combattu d’ailleurs énergiquement par les professionnels, de nouveaux temps de vacances se sont créés. Ils sont devenus d’autant plus opportuns que le télétravail poursuit son développement, permettant à une grande part des travailleurs salariés et indépendants, non dépendants de contraintes familiales, de pratiquer des séjours de longue durée sur des destinations touristiques qui, par la même occasion, voient leurs clientèles changer. Le nomadisme professionnel est accepté et la bi-résidence possible.
Débats et controverses
Si les vacances se sont imposées comme le contrepoint du temps contraint issu de la généralisation du travail salarié, le tourisme lui voit sa tradition et ses habitus remonter au Grand Tour tel que le pratiquait l’aristocratie. Deux origines, deux mondes et deux époques. Dès lors, ces pôles opposés peuvent ils se rencontrer ? Un tourisme voulu par tous et soumis à une forte pression démographique est-il compatible avec toutes les pratiques touristiques ? Ainsi, lors de son safari au Kenya un touriste va-t-il admettre qu’il y avait 80 Land Rover et quatre fois plus de téléobjectifs pour photographier un Rhinocéros ? Qui se soucie du sort de Venise sauf quand elle est sous les eaux ? Qui dénonce la pollution et les conditions sociales liées aux paquebots de croisières ? Qui n’a pas été choqué par les images de « l’île dépotoir » aux Maldives ?
Chacun préfère donc perpétuer le mythe et prolonger une trajectoire qui ne conduit nulle part. Les plus optimistes ne voient pas de contradiction entre tourisme d’élite et tourisme pour tous pour peu que l’on compense son impact carbone. Le rêve d’un tourisme raisonné se heurte, on le voit, à l’appétit des nouvelles classes moyennes mondiales rendues solvables par la mondialisation de l’économie. Satisfaire ces dernières suppose la mise en œuvre de prix bas et un traitement de volumes toujours plus élevés.
Shaping tomorrow’s tourism
Le futur du tourisme passe donc par la limitation des volumes de touristes et non par l’encouragement au départ de publics insolvables. L’abandon du projet du Terminal 4 de Roissy tel qu’envisagé en est une illustration frappante. Gérer le tourisme de masse supposera la mise en oeuvre de technologies adaptées à la gestion de flux et, dans le même temps une forte inclinaison du secteur dans le domaine de la responsabilité sociale et environnementale. La confusion entre vacances et tourisme est, on le voit, plus qu’une question de mots.
Alors quels sont les scenarii possibles pour le tourisme de demain ? D’un côté, les optimistes reprennent le constat de la reprise rapide connue au cours de l’été 2020, aussitôt le confinement levé. De l’autre, les pessimistes, héritiers de ceux qui avaient prédit la fin des années frime au tournant des années 90, laissent entendre que le tourisme international ne rebondira pas. Il fait peu de doute que l’envie d’ailleurs reste ancrée en chacun de nous, mais il est tout aussi valide de penser que le tourisme continuera de composer avec des crises récurrentes. La question posée est donc celle du pourcentage de la pente à gravir. Une pente douce signifiera que le tourisme s’est autorégulé et que la croissance des flux internationaux jadis projetée entre 4 et 5% par an sera moindre. Une pente raide signifiera l’urgence d’une protection des sites et la mise en oeuvre de système de gestion sinon de régulation des flux. On le voit bien, c’est le volume qui décidera de la qualité de notre tourisme. De gré, ou de force. Saurons-nous alors faire de l’avenir de notre secteur un futur éclairé, porté par une vision renouvelée et inclusive du tourisme ?