Dans un monde en mutation, sur lequel planent toutes sortes de menaces malgré des évolutions positives, esquisser une typologie des touristes qui arpenteront la planète dans 20 ans, ne tient pas de la gageure. Car, malgré des évolutions comportementales liées aux tourments de l’actualité, les pratiques touristiques comme bien d’autres pratiques de loisirs constituent des constantes anthropologiques. On se divertit aujourd’hui à peu près comme hier, on se soumet aux mêmes rites et rituels, car in fine l’être humain n’a qu’une aspiration : être bien dans sa tête et son corps. Le touriste aussi.

État des lieux

Si l’on considère que le touriste moderne est né pendant les Trente Glorieuses, dans l’euphorie de la paix retrouvée, ce touriste a effectivement évolué. Mais, pas autant qu’on le penserait. Dans les années 50, alors que l’emploi tournait à plein et que les usines Renault livraient les premières petites 4CV si utiles aux déplacements estivaux, celui que l’on ne sait toujours pas nommer avec précision : touriste, voyageur, vacancier ? est surtout un individu pressé de changer d’air en bord de mer ou à la campagne, puis de l’autre côté des frontières européennes, pour les plus privilégiés. Dans les années soixante, avec 3 semaines de congés (la quatrième semaine de congé a été octroyée après mai 68), son temps libre était compté et son budget aussi. Il optait donc souvent pour des séjours de vacances familiales, pour les joies du camping ou pour des locations de meublés souvent inconfortables, mais seules capables de pallier le déficit hôtelier encore criant.
Personnage simple, à la façon de monsieur Hulot, le touriste des années soixante se contentait de pratiques de loisirs tout aussi simples : baignades, promenades, cyclo tourisme, châteaux de sable pour les enfants, bronzage pour les mamans, apéritifs interminables, repas encore plus interminables avant de longues parties de pétanque ou de rami. Tout cela a-t-il changé ? Non. Excepté le rapport au soleil (si l’on prend le cas du touriste balnéaire).

Avec un budget plus élevé, grâce à une offre de plus en plus variée et sophistiquée, le touriste des décennies suivantes, diversifie légèrement ses pratiques. Certains vont skier en hiver. Les enfants partent volontiers en colonies de vacances et en classes de découverte. De plus, les hébergements se sont modernisés. Mais, alors que le « sea sex and sun » est à son apogée et que Gilbert Trigano façonne un modèle de village de vacances qui deviendra quasi universel, celui du Club Méditerranée, l’avion s’est démocratisé permettant de sauter plus rapidement et facilement les frontières. Se créent alors deux nouveaux types de touristes : des jeunes back-packers découvrant le monde, sur un mode aventureux. Et puis, ceux qui partent à la découverte des standards du tourisme international, en voyages organisés : ils « font » la Grèce, l’Égypte, l’Italie… et déjà le Mexique ou l’Inde. Obéissant à leur curiosité, ils éprouvent aussi dans la post-modernité naissante, le besoin d’afficher leur statut social. Devenu une pratique ostentatoire, le tourisme « organisé » voit éclore des tour-opérateurs de plus en plus pointus mais aussi quelques voyagistes vedettes comme Nouvelles Frontières qui, au sommet de sa gloire, envoie dans le monde entier un touriste curieux, décomplexé, libre, recruté parmi des classes moyennes en mal de voyages.
En Allemagne, au Royaume-Uni, des mastodontes cassent aussi les prix en vendant des séjours au soleil, en forfaits, à petits prix. Ils font des Allemands et des Britanniques les plus gros des marchés émetteurs du monde,
mais commencent à provoquer les vaguelettes qui grossiront bientôt les flots du tourisme de masse et feront du touriste un personnage gênant et envahissant, dont certaines populations autochtones se passeraient bien.

Alors que l’habitude de voyager s’impose (malgré des taux de départ stagnants en France), la demande de sur-mesure se précise. Le voyage trop organisé fait moins recette pour des clientèles en quête d’autonomie, d’originalité, d’alternatives au tourisme standardisé que proposent les brochures. A la fin du vingtième siècle, les prouesses d’Internet arrivent à point nommé pour permettre à ces voyageurs d’individualiser leurs prochaines vacances, en supprimant les intermédiaires et accédant directement à l’offre de leur choix. Les agents de voyage se font du souci.

A raison. D’autant que l’heure des compagnies low-cost et celle des grandes plateformes concentrant l’offre mondiale d’hébergements et de transports, a sonné. Cherchant toujours son plaisir, mais en calculant les prix au plus serré, le touriste utilise avec de plus en plus d’expertise le système D et apprend à contourner les canaux de distribution traditionnels.

Il est d’autant plus habile dans ses recherches et la confection de ses voyages, qu’il est né avec des écrans, de plus en plus petits et mobiles qui font de lui la première génération connectée, les fameux Millennials qui ont
inventé Facebook, Instagram, Airbnb, Uber, donc le tourisme collaboratif… Une nouvelle ère se précise avec ces jeunes qui savent tellement bien communiquer entre eux qu’ils tissent des communautés transnationales dont les membres ont de plus en plus tendance à se ressembler.
Une bonne et une mauvaise nouvelle pour les comportements touristiques qui tendent inexorablement à s’uniformiser ! Claude Levi Strauss et les structuralistes cherchaient l’unicité de l’homme à travers sa diversité, aujourd’hui, on chercherait avec plaisir la diversité de l’homme (et du touriste) à travers son uniformité !

Vision 2040

Compte tenu de sa trajectoire, le touriste des années 2040 aura probablement un peu évolué. Mais en partie seulement. Sur le plan des pratiques, tout donne à penser qu’elles tourneront autour des mêmes activités : jeu, musique, danse, promenades, visites… sachant cependant que certaines de ces pratiques digitalisées continueront de conquérir de nouveaux publics toujours plus connectés. Mais, dans la mosaïque que constituent les clientèles touristiques, on comptera aussi des individus lassés par les écrans, désireux de s’en passer.
En matière de vacances, alors que la frontière sera devenue plus floue, entre travail et loisirs, les vacances seront devenues des moments élastiques étalés sur toute l’année, au cours desquelles une population jeune et active joindra utile et agréable, travail et loisirs.
Tandis que l’aérien aura repris des forces, malgré des tarifs plus élevés qu’ils ne l’avaient été dans les années 2000, touristes et vacanciers continueront leur exploration du monde mais avec des fréquences réduites, sans doute sur des durées plus longues. Les voyages éclair se feront plutôt en train. Il faut dire que la sensibilité écologique aura encore progressé et que la grande majorité des voyageurs cherchera à combattre les gaz à effets de serre qui, malgré l’allégement de nouveaux avions, la propreté des carburants… continueront de polluer le ciel et de faire grimper les températures. Plus électrique et autonome, la voiture n’aura pas disparu des routes, au
contraire, elle permettra de longues itinérances vers de nouvelles destinations européennes et nationales.
Mais, ces touristes résolument « green », obéissant toujours et avant tout à un principe de plaisir, cherchant à se régénérer et parfois à réinventer leur vie, afficheront une exigence toujours aussi puissante, de sécurité.
Ayant vécu bon nombre de catastrophes, climatiques, économiques, géo politiques et ayant frôlé de nouvelles catastrophes sanitaires, ils seront guidés dans leurs déplacements autour du monde par la quête du risque « zéro ». Il faut dire que la génération aux commandes, sera la Génération née dans les années 2000, celle que l’on a baptisée « La Génération Coronavirus ». Très marquée par cette pandémie à son entrée dans l’âge adulte, cette génération conservera le souvenir du traumatisme vécu durant la grande pandémie de 2020 et cherchera à limiter la prise de risques. Sans compter qu’elle influencera les plus jeunes, ses enfants, et les incitera à se méfier de toutes sortes de nouveaux dangers.
Dans la toute-puissance que lui conféreront les nouveaux devices technologiques, les progrès de l’IA, de la médecine etc. le touriste de 2040 sera donc malgré tout un être fragile, prêt à s’amuser mais faisant passer sa sécurité et sa santé avant tout. Les aventuriers disparaîtront-ils de la géographie du voyage ? Non. Car, si la quête de sécurité sera « mainstream », elle n’empêchera pas toutes sortes d’autres profils de voyageurs de se développer et d’innover dans leurs pratiques touristiques : sports, spiritualité, jeu, musique, déserts, espaces, solitude, marche à pied, vélo… Protéiforme, l’offre touristique fera toujours du touriste un être protéiforme.

Débats et controverses

Alors que, dans les économies avancées, le tourisme est devenu un « fait social total », et que le touriste est un personnage banalisé, doit-on chercher à l’inclure ou à le séparer des populations endogènes ? Doit-il garder un statut à part lui procurant des privilèges ? Doit-on fabriquer un monde où les besoins des touristes priment sur le développement des territoires au détriment de ceux de la population locale ?
C’est sans doute de la fusion des populations exogènes et endogènes et la fusion des lieux dédiés au travail et au loisir que pourra naître un individu apaisé, un touriste dont la mission justement pourrait être d’apaiser le monde.

Shaping tomorrow’s tourism

La principale piste à suivre pour tenter de satisfaire la demande touristique de demain consiste à étudier les évolutions des sociétés contemporaines. Comment ? Grâce à une observation régulière, avertie, constante de tous les phénomènes tant économiques que géo politiques, environnementaux, technologiques qui affectent hommes et femmes. Y compris les phénomènes de modes, les goûts musicaux, les pratiques alimentaires, les façons de se distraire…
Au carrefour de nombreuses disciplines, la connaissance du touriste nécessite une veille permanente sur tous les sujets le concernant. Elle doit aussi surveiller et comprendre les innovations émergeant de l’offre touristique, et cela dans tous les pays constituant des marchés porteurs pour le tourisme national : Inde, Chine, Japon, USA, Europe, Moyen Orient… Car, malgré une uniformisation de l’offre et des goûts, subsistent des spécificités économiques et socioculturelles.
La segmentation par génération est également intéressante. Surtout celle concernant les générations à venir, notamment les petits Alpha nés en 2010 et après, dont les comportements sont déjà sous observation. Nous en reparlerons…

Préserver le tourisme insulaire

Après la massification puis la diversification, irons-nous vers plus de protection des îles ?

Le tourisme du futur ?

Il faut imaginer un touriste heureux

Le temps des vacances

Peut-on le remettre en question ?

Imaginaires touristiques

Des imaginaires augmentés