La montagne française va connaître des bouleversements considérables dans les 20/30 ans à venir sous l’effet principalement des évolutions climatiques. Mais pas que. Selon le président de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) Jean-Luc Boch, après la crise du Covid, c’est 30% à 50% de l’écosystème montagne qui est menacé de disparition. Le risque est grand de voir une montagne encore plus polarisée, avec des stations de ski opulentes et les autres. Pourtant les perspectives positives d’évolution sont réelles. A condition de réinventer des atouts, des offres et des services au croisement des identités et des vertus parfois oubliées de la montagne et des nouvelles attentes comportementales. Il faudra de la méthode, de l’audace et parfois du renoncement pour remettre un question un bâti récent.
État des lieux
La montagne française version hiver, a connu ses premières heures de gloire avec les alpinistes. Le Club alpin français, n’est-il pas né en 1874 ! Puis, l’après-guerre est arrivé et le ski s’est développé auprès des nouvelles classes moyennes françaises et autour d’une nouvelle génération de stations, grâce à une intervention massive de l’État, des promoteurs et d’architectes renommés. Depuis, le paysage s’est diversifié, complexifié, les collectivités ont pris la main, mais les fondamentaux restent globalement les mêmes : une activité hivernale largement mono produit et saisonnière dont les enjeux sont cependant considérables :
- Sur le plan économique, la montagne en hiver c’est 9 milliards de chiffre d’affaires, certes inégalement répartis, mais qui en font un moteur puissant pour tous les massifs, particulièrement dans les Alpes du Nord, qui représentent la moitié du marché français.
- A ses atouts « glisses » s’ajoutent des atouts immobiliers dont les tarifs parfois exorbitants traduisent une forte demande.
- La montagne française c’est aussi une place de leadership mondial partagée avec l’Autriche et les USA en nombre de journées skieurs, dans un contexte concurrentiel mondial limité. Enfin, c’est une grande diversité d’atouts géographiques et d’offres allant des grandes stations sportives comme Val Thorens à un émiettement de stations villages, devenues du goût d’une grande partie de la clientèle en quête de calme et d’authenticité.
- Sans compter une nouvelle palette d’activités de loisirs et de bien-être qui, en hiver, comme cette année, pallient les manques de neige et qui, en été, font l’attractivité de massifs et de stations dynamiques, très adaptées aux clientèles familiales et aux clientèles de jeunes sportifs, amateurs souvent de sports extrêmes.
- Pourtant les nuages n’ont pas cessé de s’accumuler sur le ciel d’hiver des stations. Malgré des débuts prometteurs, le vieillissement de la population conjuguée à des tarifs élevés et la fin des politiques volontaristes d’éducation et de séjour à la neige, n’ont pas généré l’explosion attendue de la demande.
- S’y ajoute le phénomène des lits froids qui entraine une moindre efficacité du dispositif économique global.
- Quant aux Impacts environnementaux (et difficultés sociales), ils sont de plus en plus évidents.
- La dépendance à une quasi mono-activité d’à peine plus de 4 mois (mais permise par une acceptation prix très importante), ne va pas non plus dans le bon sens tandis que des pans entiers de l’offre (stations) se révèlent aujourd’hui marqués par un urbanisme dur, daté, peu convivial.
- Autres points faibles : une dominante d’acteurs indépendants, avec relativement peu de chaînes internationales (exception faite du Club Méditerranée) capables de driver des clientèles diversifiées.
- Une forte présence de résidences de tourisme, sur une base de défiscalisation, pose aussi aujourd’hui des problèmes. Tandis qu’une grande part de l’investissement va aux remontées mécaniques et à ces résidences de tourisme, finalement peu productives d’hospitalité et de services.
- Quant à la montagne en été, elle a beau connaître un certain succès grâce à ses tarifs avantageux et son immense palette d’animations, son activité est limitée à deux petits mois.
Vision 2040
Faire évoluer la montagne en moins de deux générations, c’est court. C’est pourtant une question de survie pour des stations frappées comme prévu, par les effets du réchauffement climatique. Avec moins de neige dans les stations de basse altitude, dans le sud de la France et les Pyrénées, rendant inapplicables les modèles économiques passés, de nombreuses stations auront donc poursuivi une reconversion entamée depuis les années 2000, proposant une offre alternative composée de séjours de détente de plus en plus sophistiqués, une restauration gastronomique empruntant ses saveurs aux savoir-faire locaux, capable d’attirer les clientèles aisées, et toutes sortes d’activités plus ou moins culturelles et mondaines.
Quant aux activités sportives, elles se seront diversifiées à l’extrême ainsi que l’événementiel qui va avec. Ludique, conviviale, raffinée, sportive, la montagne des années 2040, aura aussi su se présenter sous le visage d’un territoire refuge où se protéger, se régénérer et accéder à une certaine forme de spiritualité. Le mythe de la « montagne sacrée » reviendra roder dans les imaginaires des élites urbaines et séduire des clientèles plus attirées par le mindfulness que par le bling bling des années 2000.
Pendant que les grandes stations seront toujours dédiées au ski, ces stations à bonne altitude et/ou proximité de grandes villes pourront pour leur part enregistrer une activité florissante et une forte montée en gamme.
Une partie des stations des massifs secondaires Pyrénées, Jura, Vosges, Massif Central… pourraient aussi se transformer, plus modestement, en lieux de villégiatures 4 saisons, où le ski ne sera plus qu’une activité parmi d’autres. Quant aux friches, on aura cherché à les reconvertir en centres culturels, écomusées, lieux de co working. En fait, à l’exemple des montagnes nord-américaines, et est- européennes, la montagne française sera devenue un territoire de vie et non pas seulement de vacances.
Débats et controverses
De manière globale et un peu théorique, on peut penser que le paysage touristique de la montagne devrait se structurer autour d’une géographie largement renouvelée composée :
- De stations d’altitude et/ou bénéficiant de conditions climatiques spécifiques, qui vont concentrer l’économie du ski, avec souvent une montée en gamme liée à la rareté.
- De stations villes d’agrément à proximité des grandes villes (Genève, Grenoble…) transformées en des sortes de banlieues chics et smart.
- De stations « climatiques » qui auront réussi à réinventer leur modèle sur des identités réinventées et en accord avec les valeurs du 21e siècle
- De laissés pour compte (beaucoup ?) qui n’auront pas su ou pas pu évoluer et connaîtront des destins difficiles, comme le littoral en montre déjà souvent.
Dans ce contexte, les enjeux apparaissent multiples et globaux :
- Repenser les offres et les produits : le thème de la santé et du bien-être offre des potentiels considérables, avec des avantages stratégiques que le thermalisme ne peut revendiquer, sauf exceptions.
Les sujets autour de la quête de spiritualité, du développement personnel, sont aussi des thèmes pour la montagne, dans une société qui en exprime les besoins de plus en plus clairement.
D’évidence, les sujets du sport, des loisirs, de la culture, de l’évènementiel, des identités… sont autant de pistes à faire vivre. - Repenser la manière de vivre à la montagne : le modèle autrichien, suisse ou américain nous montre qu’une montagne à vivre toute l’année est possible. En revanche ce n’est pas possible dans 20m², et dans des modèle fonctionnels, urbains, construits depuis les années 1960 à 80, à la conjonction de pensées technocratiques, d’utopies largement en échec, d’architecture brutaliste, et souvent de mépris pour les questions environnementales. Parfois des solutions radicales devront être mises en oeuvre : on détruit bien les quartiers urbains défectueux de cette période. Les références seront à aller chercher dans la réinvention des modèles vernaculaires, des constructions bio-climatiques, adaptées au climat, avec de l’espace, de la lumière, un mode de vie sain, convivial, sûr.
- Changer d’échelle : toute le monde ou presque raisonne à l’échelle de sa station, considérant souvent son voisin comme son principal concurrent. Si l’on veut faire évoluer le modèle économique et sociétal, il sera indispensable de changer d’échelle, de penser vallée, bassin de vie. C’est la condition pour offrir des territoires globaux, riches d’offres et de services différents, résilients car diversifiés, traitant les questions urbaines, de services publics, d’environnement…. Les villes françaises ont vraiment évolué quand elles ont pu fonctionner à l’échelle d’agglomérations ou de métropoles. Le cadre législatif récent sur les compétences touristiques, maintenant le statut des stations, ne va pas dans ce sens. Et pourtant…
- Repenser les modèles : aujourd’hui les stations sont souvent gérées par des collectivités, en charge notamment de l’urbanisme et des sujets collectifs, avec un opérateur pour les remontées mécaniques, un pour le marketing et l’accueil, parfois un autre pour l’évènementiel, évidemment un pour l’école de ski… Le modèle anglo-saxon du resort est à cet égard beaucoup plus puissant et souple, permettant un management global de la destination. Il est évidemment impossible en France, mais il doit questionner sur l’organisation des fonctions et des modèles contractuels. Sans évolution du cadre de management et de gestion, le risque est fort de consensus mou et d’immobilisme.
Shaping tomorrow’s tourism
Aujourd’hui les menaces sont là, visibles et largement partagées. La crise du Covid et l’avalanche de situations dramatiques provoquées sur le modèle hivernal, devraient accélérer la mise en mouvement des acteurs de la montagne française, très conscients de ces problématiques.
Il faudra regarder loin avec lucidité, pour entreprendre une mutation indispensable. Chaque cas sera spécifique et trouvera des réponses adaptées. Des expérimentations seront aussi nécessaires ainsi que des démarches globales intégrant les produits, l’environnement, l’urbain, le réglementaire et le financier. Mobilisateur pour les collectivités, les opérateurs privés, les financeurs, ce processus nécessitera une bienveillance des services de l’État pour permettre de faire bouger les lignes, autoriser l’innovation.
Les acteurs de la montagne ont su faire preuve depuis des décennies d’esprit d’entreprise, de courage et de travail. Ils devront se mobiliser pour remettre en cause en partie ce qui a été fait, tout récemment, par leurs anciens.
Ce n’est jamais facile. Raison de plus pour entamer ces chantiers avec méthode et bienveillance.