Profondément impacté par la crise sanitaire, le voyage d’affaires aux bons soins de Zoom et autres opérateurs de visio conférences, a assisté impuissant à son propre naufrage. Impuissant mais consentant, il compte parmi les secteurs qui ne seront plus jamais comme avant. Ses clients non plus. Un pan entier de l’industrie touristique est donc à reconstruire dans un contexte désormais dominé par les géants de la communication à distance et par conséquent par les risques de cyber attaques qui seront de plus en plus redoutables. Sans compter la question du stockage des données, de la connectivité des lieux, des risques de panne.
État des lieux
Très segmenté (congrès, événements, salons) le voyage d’affaires a été impacté négativement et durablement, à travers tous ses métiers. Selon le dernier baromètre EPSA-IFTM (janvier 2021), le taux d’effondrement est abyssal : globalement autour de 60%. Alors que toute la chaîne de prestataires a subi le contrecoup de ce déclin, on estime que les agences de voyages et TMC (Travel managers) sont confrontés à une baisse de l’ordre de 75 à 90%. Pour les espaces d’événementiel, la baisse tourne autour de 80%.
Autre fait déterminant : l’efficacité des solutions technologiques de remplacement des réunions d’affaires a permis de satisfaire en partie organisateurs et publics. L’application Zoom (parmi d’autres) est devenue en quelques mois l’une des entreprises les plus en vue du monde. Elle est cotée 23 fois plus qu’Air France.
A ce constat conjoncturel s’ajoutent les maux structurels du secteur des réunions et congrès caractérisé en France par :
Une offre pléthorique (la moindre ville a son palais des congrès, son parc des expositions, sa ou ses salles de spectacles), des fonds publics comme règle de financement des investissements et de régulation des activités.
Une situation d’extrême atomisation des opérateurs, avec de multiples sociétés publiques locales et GL Event comme acteur global et dominant dans de nombreuses villes (sauf à Paris).
Une activité très concentrée sur la capitale (première destination mondiale de congrès), sur la Côte d’Azur et quelques grandes villes ou stations touristiques.
Quant à l’activité MICE qui pèse lourd en France (au niveau national, le poids économique était évalué pour 2019 par l’UNIMEV à 32 milliards d’euros), elle ne permet pas en général d’assurer le financement du Gros Entretien Réparation (GER) et encore moins celui des évolutions structurelles. Les collectivités ont ainsi appréhendé l’existence d’un parc d’exposition ou d’un lieu de congrès à travers le prisme de l’animation (souvent commerciale) locale, et celui des retombées économiques générées sur l’ensemble de l’écosystème. Mais à l’évidence, volonté de prestige et parfois surenchère sur le voisin ont aussi été des drivers de création d’équipements parfois surdimensionnés donc inutilement coûteux.
Par ailleurs, la question de l’allocation des surfaces et de la maximisation des réserves foncières vient interroger le devenir des parcs des expositions qui peinent économiquement, nécessitent donc des réinvestissements alors qu’ils occupent souvent de grandes surfaces.
Vision 2040
Dans 20 ans, dans un monde où travail et loisir se confondent de plus en plus, les termes de tourisme d’affaires et de loisirs auront de moins en moins lieu d’être. Les hommes et femmes d’affaires seront moins nombreux et quand ils survivront, ils témoigneront d’un monde plus ou moins révolu. Les méga congrès internationaux pour leur part se seront raréfiés, remplacés par des réunions régionales et des visio-conférences géantes organisées par des entreprises de plus en plus lourdement équipées, aux prestations de plus en plus coûteuses. Mais, les congrès institutionnels en France se porteront vraisemblablement toujours aussi bien, autour d’une approche conviviale renforcée.
Globalement, les manifestations seront cependant plus courtes, moins éloignées, plus raisonnables en budget. De plus en plus d’événements seront hybrides à vocation multidimensionnelle (information, rencontres, démarches commerciales, …). Le marché des centres événementiels se sera probablement transformé, concentré sur quelques grandes villes et destinations touristiques phares. Des villes moyennes auront disparu de la carte des destinations de congrès, d’autres se seront recentrées sur un marché régional et sur de l’animation locale. Les foires locales, raison d’être privilégiée de beaucoup de parcs d’exposition jusqu’aux années 2020, auront quasiment disparu, prises dans le maelstrom des bouleversements de la consommation…
Débats et controverses
Devant l’efficacité des solutions virtuelles et leurs faibles coûts, le débat pour les communes et les opérateurs concernés par la chute d’un modèle, va essentiellement porter sur les points suivants :
- La polyvalence des lieux d’accueil est-elle la seule solution ou est-elle une source de confusion, de difficultés et de surcouts (des lieux pour faire à la fois du sport, des spectacles, des manifestations économiques…)
- Les valeurs de l’accueil vont-elles l’emporter sur l’économie et constituer le seul pari gagnant ? Le besoin de liens, d’échanges de partage va-t-il en effet rester une donnée ontologique indépassable ?
- Les investissements en sécurité sanitaire qui vont avec seront-ils à la portée de toutes les bourses ?
- L’offre hybride (présentielle et virtuelle) va-t-elle constituer le nouveau et unique modèle et sous quelles formes ? Ses coûts ne vont-ils pas excéder les coûts du monde d’avant ?
- Les investissements en cyber sécurité vont-ils être suffisants pour préserver le piratage de certaines grandes réunions et de leurs débats ?
- Le risque de voir les données issues des débats, échanges et autres conversations, être confisquées par des opérateurs planétaires géants peu scrupuleux, ne va-t-il pas l’emporter sur la facilité offerte par les conférences à distance ?
- L’absence d’opérateurs européens capables d’assurer les mêmes prestations que les géants américains et bientôt asiatiques, ne va-t-elle contrarier le développement des cyber-conférences ?
- Les géants du Web ont-ils encore de nombreux tours dans leurs sacs capables de provoquer une crise encore plus grave du secteur des réunions ?
Shaping tomorrow’s tourism
L’évolution de lieux dédiés au tourisme d’affaires va donc, on le voit, exiger de nombreuses compétences liées à l’urbanisme, la sociologie, l’économie… Des expérimentations devront donc être faites, s’appuyant sur une analyse juste du contexte : ressources locales, savoir-faire, rapport à l’urbain…
Le besoin d’être ensemble passera aussi par une personnalisation plus forte des centres de manifestation conçus autour de la notion d’expérience individuelle et collective. Il conviendra aussi de mieux valoriser les marques et les entreprises, de mieux utiliser les data clients et de repenser les services. Autres exigences :
- Assumer la durabilité : alors que les rénovations seront plus courantes que les nouvelles constructions, la réinvention des lieux se fera notamment autour de la limitation de la consommation énergétique (voire parfois en devenant producteurs d’énergie), l’utilisation de matériaux recyclables, bio sourcés, des circuits de déchets. … Une place importante devra aussi être faite aux éléments naturels : eau, plantes et surtout lumière du jour y compris dans les amphithéâtres.
- Assurer la sécurité : il conviendra évidemment d’assurer la sécurité physique des personnes (risques attentats, risques sanitaires…) mais aussi celle des données (protection des datas). Une contrainte à intégrer d’emblée dans les bâtiments et l’organisation des manifestations. Sans doute via des intermédiaires spécialisés.
- Intégrer les sites au sein de la cité et en faire des lieux à vivre : enfin, les acteurs concernés devront proposer une expérience globale en lien avec la destination, l’écosystème économique, politique, touristique, culturel… Certains lieux devraient quitter leur mono-fonctionnalité pour aller vers une interpénétration des fonctions : boutiques, lab, entreprises, espaces de loisirs… Ce sont des lieux à vivre qu’il conviendra de concevoir. Une belle mission pour des équipements qui devront participer à la réinvention de la ville de demain.
En résumé, les acteurs publics vont devoir s’impliquer plus dans leurs espaces évènementiels et tenter de leur donner une valeur économique avec la création de richesses par l’implantation d’activités marchandes par exemple ; une valeur foncière avec notamment la question de la place des parkings ; une valeur d’usage dans l’espace public urbain …