L’Afrique sub-saharienne va-t-elle devenir un géant touristique, à la hauteur des prévisions démographiques et économiques faites pour le continent ? Ou bien cette vision est-elle une chimère ? Le continent parviendra-t-il à transformer l’essai de l’émergence d’une classe moyenne née de la mondialisation des échanges tout en supportant une croissance démographique forte, les impacts très lourds du changement climatique, des instabilités politiques et divers problèmes de gouvernance ? De nombreux facteurs objectifs portent à l’optimisme, dans une sorte de course de vitesse où les sujets concernant la sécurité et les crises sanitaires récurrentes limitent avant tout son développement.

État des lieux

L’Afrique Sub-saharienne, c’est aujourd’hui environ 800 millions d’habitants, avec des prévisions de croissance démographiques très fortes, autour de 2 milliards d’habitants en 2050. Cet impact démographique sera particulièrement sensible/impactant dans les pays les plus pauvres et les plus sujets aux chocs climatiques, notamment dans la bande sahélienne. L’Afrique, c’est aussi une croissance économique de l’ordre de 4% environ depuis de nombreuses années, et des prévisions du même ordre pour les deux décennies à venir. Ce phénomène s’accompagne de l’émergence de couches moyennes et supérieures avec un pouvoir d’achat en croissance et une intégration rapide dans « l’économie monde ».

Évidemment tous ces phénomènes cachent des disparités considérables, avec des géants économiques comme le Nigéria, des pays en émergence rapide (Côte d’Ivoire, Ghana…) et des pays qui restent à des niveaux de pauvreté cruels (Niger, Mali, Tchad, Centrafrique…). Dans ce contexte, l’Afrique a accueilli en 2019 : 70 millions de touristes, en croissance moyenne d’environ 6% sur les cinq dernières années, avec des particularités fortes :

  • Les pays les plus touristiques se situent aux extrémités sud et nord du continent : Maroc, Égypte, Tunisie, Afrique du Sud.
  • La bande sahélienne intercalaire de la Mauritanie à la Somalie est exclue du phénomène touristique international pour des raisons de sécurité. D’autres voient leur stabilité menacée : Kenya, Mozambique…
  • Des stars d’hier : Sierra Leone, Ghana, Éthiopie n’ont pas confirmé leur vocation touristique.
  • Quelques micro-destinations ont su imposer une image forte : Cap Vert, Maurice, Seychelles, Zanzibar.
  • Les statistiques sont très imparfaites et recouvrent à travers la notion d’arrivée, des réalités qui tiennent beaucoup du tourisme affinitaire issu de la diaspora : Algérie, Nigeria, Côte d’Ivoire, Sénégal.
  • Les flux régionaux, hormis quelques cas, sont dominants sur le plan statistique s’agissant en particulier des pays sans accès à la mer.
  • La dynamique d’investissement, en particulier dans l’hôtellerie est réelle mais réservée aux principales grandes villes. Pourtant les arguments et facteurs objectifs sont réels :
    • Proximité de l’Europe, quasiment sans décalage horaire (4/6h).
    • Climat avec de forts contrastes régionaux et saisonniers.
    • Patrimoines naturels, humains et culturels très forts, même s’ils sont aujourd’hui menacés ou insuffisamment valorisés, avec de fortes perspectives dans le monde des arts et de la création contemporaine.
    • Phénomènes de diasporas.
    • Potentiel de tourisme de nature/écotourisme avec des exclusivités mondiales et des références d’imaginaires uniques (berceau de l’humanité, grands espaces sauvages, parcs nationaux…).
    • Qualité d’accueil et de convivialité des populations…

Des barrières à l’entrée demeurent en matière de visa (le Sénégal fait exception), d’exigences sanitaires : vaccins, traitement « anti », auxquelles s’ajoutent des freins psychologiques parfois sans réel fondement qui minent l’image globale du continent : instabilité politique, pauvreté endémique…

Vision 2040

On peut imaginer que dans deux décennies, dans des pays et des zones qui globalement franchissent des étapes sur le chemin de l’émergence, certains deviendront des acteurs économiques régionaux ou globaux crédibles. Le développement de réseaux de villes portuaires et/ou d’affaires devenues puissantes sur le plan économique, mais aussi pour leur tourisme urbain et d’affaire, est également plausible.
Un tourisme fait principalement par et pour les résidents de la sous-région, avec des constitutions de zones touristiques et immobilières très protégées (Saloum, Casamance, Assinie, Grand-Béréby, Kribi…) est déjà en cours et pourrait accélérer.
Des espaces touristiques bien affirmés, principalement dans les zones côtières et dans quelques espaces naturels protégés sont attendus. La notion de sanctuaire s’élargira aussi aux populations qui vivent dans ces zones protégées.
Enfin, des inégalités de développement persisteront, avec des pays disqualifiés du tourisme par des problématiques ethno religieuses, socio-politiques, des frontières instables (Burkina, Nord Cameroun, Tchad, Pays Dogon…).

Débats et controverses

Dans le nouveau triptyque des destinations touristiques (des enclaves sécurisées, paysagées et entretenues donc propres voire vertueuses sur le plan environnemental, bienveillantes et professionnelles dans l’accueil, portant des valeurs d’hospitalité et de partage
culturel), l’Afrique peut faire valoir de vrais arguments sur les deux derniers points :

  • Vastes espaces naturels, certains protégés, sanctuaires animaliers, routes culturelles des chefferies… sont autant de marqueurs qui peuvent se mêler à des imaginaires très forts de liberté, d’aventure, de rencontres…
  • Les valeurs de convivialité, d’hospitalité sont aussi réelles et peuvent se combiner avec des expressions culturelles et de créativité, devenues des marqueurs revendiqués, autant que des facteurs d’intégration à l’économie monde.
  • Le tourisme national et sous régional va induire la création de complexes touristiques et résidentiels importants et de nature très différente, mais aussi de pôles d’affaires et de loisirs urbains et péri-urbains pouvant devenir de véritables destinations. Même dans les pays à plus fort potentiel, la question de la sécurité des biens et des personnes sera centrale et on peut penser qu’à l’image de l’Inde ou du Brésil d’aujourd’hui, des pays verront coexister un secteur touristique florissant à côté de zones de pauvreté et d’insécurité extrêmes. Il est probable aussi que certains pays resserrent leurs liens avec les marchés européens, aidés en cela par les phénomènes des diasporas. Mais pas uniquement. L’accès au réservoir de demande touristique mondiale n’est permis qu’à un club fermé de destinations offrant des plages paradisiaques et (ou) une faune exceptionnelle (les big five, gorilles, chimpanzés…). Dans ce paysage, certaines destinations devraient émerger :
    • À L’Ouest, Sénégal, Ghana, Côte d’Ivoire et Cap Vert.
    • A l’Est, Kenya, Tanzanie, en lien avec la structuration d’une polarité forte au sud, à partir de l’Afrique du Sud, et avec la Namibie, le Botswana, mais aussi Zimbabwe et Mozambique.
    • Enfin l’Afrique centrale devrait plus fonctionner sur des bases locales et des poches de prospérité, attestées par le tourisme.

De ce constat il ressort notamment que parler de tourisme africain de manière globale a peu de sens. Les réalités nationales ou sous régionales continuent à s’imposer, reflétant ainsi les diversité géographiques, humaines, économiques, politiques du continent.

Shaping tomorrow’s tourism

Aujourd’hui les besoins de l’Afrique, futur continent touristique, sont immenses :

  • Structuration des offres hôtelières, des espaces de rencontres d’affaires et de pôles de loisirs dans les grandes villes et les capitales, et progressivement équipement des villes secondaires. Les fonctions touristiques et hôtelières sont largement intégrées dans
    des approches immobilières et d’équipement plus globales.
  • Développement de polarités touristiques, notamment sur des zones encore vierges. C’est une chance exceptionnelle de pouvoir y bâtir des projets résolument innovants, à la fois pour des populations exogènes et locales, sur des bases qui mettent les réalités environnementales au cœur des motivations des clients comme des choix techniques, avec un urbanisme doux et sain, des processus inclusifs, une économie ouverte.
  • Ces projets peuvent être exemplaires d’une nouvelle manière de concevoir le tourisme.

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Publié le 15 juillet 2021