Alors que, dans les années à venir, le nombre d’emplois touristiques continuera de grimper, il est fort à parier que bon nombre de prestations touristiques seront aussi le fait de « non professionnels » qui, d’ores et déjà n’hésitent pas à se convertir au tourisme. A temps plein ou à mi-temps. Guidés par le goût de l’hospitalité, la nécessité économique (surtout) ou l’opportunité, ces nouveaux acteurs sont-ils porteurs d’une nouvelle économie qu’il faudra encourager et de nouveaux concepts ?

État des lieux

L’expérience touristique très partagée par une grande partie de l’humanité a permis à un nombre grandissant d’individus de s’initier au monde de l’hospitalité, d’en appréhender les rouages et de discerner les opportunités qu’il leur offre. Non pas en tant que voyageur mais également en tant qu’acteur. Si les hébergeurs ont mené la danse entamée en France par la création du premier « Gîte de France » en 1951 (dans les Alpes de Haute Provence), puis par celle d’Abritel et encore plus tard par celle d’Airbnb, d’autres secteurs ont suivi avec succès, contribuant à créer une nouvelle offre dite « collaborative » ou « participative », dans laquelle entre offreurs et clients, tout le monde est gagnant.

    • Au 10 février 2021, PAP vacances annonce que les demandes de réservations se sont multipliées par 4 !
    • Toutes études confondues, en temps normal : ces hébergements comptent 10% d’adeptes.
    • 3 millions de personnes offrent leurs maisons en location sur le site Airbnb.
    •  Selon une étude de l’agence Grey (2018), ils seront 52% à vouloir franchir le pas de l’échange de logements pendant les vacances, dont 58% de moins de 35 ans. De plus, 50% seraient prêts à louer une chambre de leur logement à un touriste.
  •  Dans le domaine de la table : le succès a été brisé en vol par l’épidémie. Mais, les cuisiniers « amateurs » désireux de partager leur table et leur goût pour la cuisine pourraient continuer à se développer.
  • Les guides bénévoles ou payants : le mouvement des Greeters, pour sa part, s’est propagé rapidement un peu partout dans le monde. Plus d’une centaine de villes sont capables aujourd’hui de mettre en relations
    touristes et guides amateurs. Airbnb qui a bien compris les enjeux, raffine également le produit en offrant dans certaines villes des « expériences » touristiques insolites, en compagnie de guides locaux… Ce qui ne va pas sans créer une concurrence certaine avec les guides officiels et agents de voyages réceptifs.
  • Activités de loisirs : outre les promenades thématiques, toutes les formes d’ateliers de créativité et d’artisanat ou d’enseignement de savoirs divers sont dispensés à des groupes de touristes ou des individuels via des plateformes Internet. On pourrait aussi ajouter, dans certaines régions, l’offre d’activités de développement personnel et de ressourcement, n’impliquant pas pour l’enseignant de détenir un diplôme officiel.
  • Transports : dans le domaine du transport, selon une étude du cabinet Roland Berger, le marché mondial des véhicules partagés et des offres de mobilité va croître de 35% par an via le développement d’applications mobiles et autres solutions digitales, ainsi que l’entrée sur le marché de sociétés établies, comme les constructeurs automobiles, les compagnies aériennes et ferroviaires. Le succès de Blablacar, hors crise, ne s’est pas démenti.
  • Blogs et journaux en ligne : la facilité avec laquelle on peut construire un site ou un blog, poster des articles et des photos ainsi que des vidéos depuis les quatre coins de la terre a également ubérisé une profession : celle des journalistes et rédacteurs de guides. Les bloggers et influenceurs parfois éphémères, parfois durables, sont plus courtisés que les journalistes professionnels, grâce à l’importance de leur audience sur les réseaux sociaux. Enfin, toutes ces formules vont dans le sens du partage, de l’originalité, de l’économie recherchés par le touriste et par l’offreur. Elles proposent donc du « gagnant/gagnant ». Quant aux territoires touristiques, obéissant à la doxa ambiante selon laquelle le tourisme d’immersion a le vent en poupe et qu’il convient de donner la priorité au local, ils les encouragent quand ils se propagent dans des limites raisonnables.

Vision 2040

Dans 20 ans, la montée en puissance du tourisme collaboratif et la montée en puissance de l’ubérisation, pourrait bien ne pas s’essouffler. Le salariat reculera et l’auto entreprenariat pourra encore gagner du terrain. Mais, ces pratiques se seront tellement banalisées que les termes qui ont fait florès dans les années 2000, seront oubliés. De nouvelles générations de jeunes et moins jeunes en tout cas, se convertiront temporairement ou définitivement à une activité touristique (surtout dans les campagnes et les villes en particulier) dès que la nécessité (surtout économique) s’en fera sentir. Et cela avec succès, puisqu’ils mettront au point des modèles originaux particulièrement appréciés par toutes les clientèles y compris lointaines, pressées de se démarquer des schémas habituels. Le phénomène sera sans doute devenu tellement massif que les opérateurs professionnels, soit se déchaineront contre cette concurrence, soit chercheront à l’imiter, ce qui ne manquera pas de créer une émulation particulièrement salutaire. Certes, l’innovation aura beau se banaliser, elle cachera parfois des dysfonctionnements que les autorités se trouveront dans l’obligation de surveiller de près. De nouveaux délits apparaîtront qu’il faudra contrer notamment sur le plan sanitaire. Mais, des formations seront proposées et elles marcheront plutôt bien.
Toujours aussi perfectionnés, les développements d’internet auront accéléré les circuits d’information, de réservation et auront permis de mettre en ligne une offre quasiment exhaustive. Le tout sur un mode simple qui fera du choix de vacances un jeu d’enfants…

Débats et controverses

Si, se reconvertir peu à peu en un « semi professionnel » du tourisme devient une expérience temporaire plaisante que beaucoup envisagent soit comme une roue de secours à un moment difficile de leur vie, soit de façon récurrente, pour le « fun » et l’argent, les questions à se poser sont les suivantes :

  • Quid de la qualité des prestations d’individus peu ou pas formés du tout aux métiers de l’hospitalité ? -Sont-ils soumis aux mêmes obligations que leurs concurrents professionnels notamment dans le cas des hébergements et des tables d’hôtes ?
  • Et surtout, cette économie parallèle est-elle de nature à augmenter ou à nuire au développement d’une économie de petits et moins grands opérateurs professionnels ?
  • Cette ubérisation va-t-elle détruire des emplois ?
  • Donc, doit-on la favoriser à des fins « durables » et tenter de la qualifier ou au contraire, doit-on la contrer ? Le législateur est-il bienvenu dans ce mouvement spontané lorsqu’il se propage dans des proportions raisonnables et acceptables ?
  • Ces nouveaux prestataires peuvent-ils servir l’économie locale et comment ?
  • Ne court-on pas le risque de créer un tourisme à deux vitesses : les « pros » d’un côté, les amateurs de l’autre ?

Shaping tomorrow’s tourism

La meilleure façon d’appréhender l’avenir consiste à changer de logiciel. Il conviendra de considérer que le secteur touristique n’est plus la chasse gardée de professionnels, de grands opérateurs et de grands investisseurs. Comme tous les secteurs, il sera de plus en plus ouvert à des acteurs parfois éphémères, apportant souvent une véritable valeur aux territoires où ils sont établis et non pas une concurrence. Le monde de demain sera bel et bien un monde où les métiers, les activités, les territoires seront mixtes ou « hybridés » pour reprendre la terminologie actuelle.

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